Page:Lintier - Ma pièce, 1917.djvu/84

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tête basse, le pas lourd, les yeux chassieux, pitoyables. Au loin, sur la route, moulée aux longs vallonnements de la campagne, et blanche sous le soleil revenu, on voit cette colonne, vers le haut d’une butte, monter à l’ascension du ciel bleu. Les hommes et les chevaux ne sont plus là-bas qu’un fourmillement sombre, mais les panses de tôle des bateaux luisent encore. Devant nous le défilé continue.


L’état sanitaire des hommes est excellent ; mais les chevaux résistent moins bien à cette vie nouvelle. Vendredi dernier, nous avons dû en abandonner un sur la route. Hier, un vieux cheval de batterie, Défricheur, est mort à son tour. Il a fallu creuser une fosse pour l’enterrer. Quatre servants y travaillaient depuis plus d’une heure, dans un sol rocailleux et difficile, lorsque le maire de Moirey survint. La fosse avait été ouverte trop près des maisons. On dut traîner plus loin le lourd cadavre et recommencer le travail. Malheureusement, les mesures du trou furent mal prises. Une fois creusé, Défricheur, un vrai cheval de gendarme, n’y pouvait entrer. Les servants étaient las de terrasser. À coups de pelle et de pioche, ils brisèrent les pattes de la bête et les lui plièrent sous le ventre pour qu’elle pût enfin tenir dans la fosse.