Page:Lintier - Ma pièce, 1917.djvu/87

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Pourtant on avait préparé ce pays pour le combat. Une ferme au bord du chemin a été mise en défense. Les fenêtres sont barricadées avec des matelas et des bottes de paille. On a crénelé le mur du jardin. Des tranchées éventrent les champs jusqu’à la lisière d’un bois, où l’on a pratiqué des abatis. On a fait des levées de terre sur les bas côtés de la route et devant on a entassé des échelles, deux herses, une charrue, un rouleau, des bottes de paille. Deux charrettes barraient la chaussée. Mais, on les a poussées l’une à droite, l’autre à gauche de la route où, à cul, elles lèvent en l’air leurs grands bras.

Et nous roulons toujours à travers ce morne pays. Il nous semble, tant ses aspects se répètent, que nous n’avançons pas.

Le brouillard s’est dissipé, et soudain, sans qu’on ait pu prévoir la fin de cette triste campagne, comme par miracle, un paysage admirable s’offre à nous. Nous nous trouvons sur une crête entre deux vallées. D’un côté, des grands bois dévalent à flots, en énormes cascades vertes, jusqu’au creux d’une étroite vallée où coule, dans une prairie d’un beau vert émeraude, une petite rivière aux eaux noires. Les forêts font à cette prairie, qu’elles enserrent comme pour la parer et rehausser son éclat, une fourrure animée de verts nuancés, profonds, vibrants. Devant nous se dresse un éperon,