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Page:Lintilhac - Lesage, 1893.djvu/188

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SA MORALE.

rions trouver ici une belle occasion d’épiloguer sur cette délicatesse française dont Walter Scott disait qu’« elle a souvent reculé devant un moucheron et avalé un chameau » ; mais il sera plus court et plus utile d’extraire du Gil BLas, et aussi de toute l’œuvre de Lesage, la fine fleur de philosophie qu’ils contiennent.

Il y a deux morales qui se complètent l’une par l’autre et qu’il faut concilier : celle des livres d’éducation et des bons parents, qui vous exhorte « à vivre en honnête homme, à ne se point engager dans de mauvaises affaires, et, sur toutes choses, à ne pas prendre le bien d’autrui », et celle du monde qui tient en un mot : « ne pas se laisser duper ». Si l’on n’y réussit pas d’abord, il faut se consoler en songeant, comme Estévanille, qu’on a été du moins « déniaisé pour son argent ». L’essentiel est surtout de pratiquer le précepte de Fabrice, de a ne pas se laisser abattre », et de durer ainsi jusqu’à un meilleur temps. Il ne peut manquer de venir, la vie étant, comme dit le Toston du Bachelier, « une succession continuelle de bien, de mal, de joie et de chagrin ». Cette dernière considération est celle sur laquelle Lesage insiste le plus, dans tous ses ouvrages : elle est le fond de sa philosophie, et il en a multiplié les formules. Le premier et le plus précieux conseil que Fabrice donne à Gil Blas roule là-dessus : « Un homme d’esprit est-il dans la misère ? il attend avec patience un temps plus heureux », etc. Et le conseil ne sera point perdu : que de fois Gil Blas le