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Page:Lintilhac - Lesage, 1893.djvu/211

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LESAGE.

on pourra trouver bien mince le mérite qu’eut son théâtre forain de ressusciter et presque de créer un genre, en naturalisant la farce italo-gauloise, en préparant les voies à Panard, à Favart, à Vadé, à Sedaine, à Beaumarchais, et à tous nos modernes et charmants auteurs de cette foule bigarrée d’opéras-comiques et bouffes, d’opérettes, de saynètes, de féeries, de turqueries et de parodies, qui vont de la Dame blanche et de la Belle Hélène au Klephte et à Miss Helyett, en passant par Orphée aux enfers, la Belle au bols dormant, la Mère Angot, l’Œil crevé, le Petit Faust et les Cloches de Corneville, sans oublier la renaissance actuelle et si vivace de la vieille chanson et du vaudeville toujours malin. Pourtant ce mérite n’est pas négligeable, aux yeux de quiconque aime l’esprit français et voudra savoir ses petites obligations envers le Breton Lesage. On sait les grandes. L’esprit de Lesage, dans Turcaret surtout, n’est plus seulement la naïveté de Molière aiguisée par Regnard. L’arme est d’une trempe plus dure. Forgée à nouveau par Montesquieu et Diderot, aiguisée par Marivaux, Piron, Chamfort, et deux ou trois douzaines de femmes d’esprit, empoisonnée par Rivarol et maniée par Beaumarchais, elle sera vraiment l’outil universel dont il est question dans le Gil Blas, et servira à une besogne qui eût fait hésiter Lesage. Et pourtant c’est lui qui, en faisant crier très haut par Frontin, au dénouement de Turcaret, et répéter maintes fois par Gil Blas : « Vive l’esprit ! » avait donné au nouveau siècle son mot d’ordre.