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Page:Lintilhac - Lesage, 1893.djvu/210

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SA POSTÉRITÉ LITTÉRAIRE.

ques expresses sur un certain laisser-aller dans la conduite de l’action ; sur une négligence jusque-là sans exemple, dans la comédie classique, relativement aux entrées et aux sorties ; sur une véritable indifférence touchant le sort ultérieur des personnages, que nous partageons avec Tautéuf au point de ne pas nous demander ce que deviendra Turcaret ; sur les crudités des mœurs ; et, par-dessus tout, sur une préoccupation visible de nous présenter le héros de la pièce bien défini par sa profession, par ses moindres goûts en meubles, en viande, en poésie et en musique, par sa sœur et par sa femme, par ses origines et par ses entours, tout autrement individualisé, en un mot, que ne l’avaient été les personnages analogues de Molière, tels que Harpagon, Harpin, M. Jourdain ou Tartuffe lui-même ? Et n’est-ce pas précisément sur ces dérogations à la tradition que portèrent les censures du temps, si bien qu’en lisant la Critique de Turcaret on croirait entendre les critiques conservateurs des saines traditions, au lendemain de telle ou telle pièce du Théâtre-Libre, où, au lieu de nous servir à point un dénouement bien cuit, comme dit Musset, on nous aurait offert quelques tranches de vie trop crues ? Et c’est ainsi qu’en vertu de sa conception réaliste de l’art, et par un bizarre effet des révolutions des genres, Lesage se trouve être, au théâtre comme dans le roman, le plus moderne des classiques, et le patron incontestable des audaces du réalisme contemporain.

Auprès de cet honneur et de cette responsabilité,