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Page:Lirondelle - Le poète Alexis Tolstoï, l’homme et l’œuvre, 1912.djvu/610

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Messire Bertrand n’avait eu que ce qu’il méritait, car c’était, disait-on, un chevalier impie et félon, dont les mauvaisetés étaient passées en proverbe. Le haut fait de ma trisaïeule n’en est que plus merveilleux et vous concevez combien je devais être flattée de la ressemblance qu’on me trouvait avec le portrait de dame Mathilde. Ce portrait d’ailleurs vous le connaissez, mes enfants ; c’est celui qui est placé dans la grande salle immédiatement au-dessus du Sénéchal de Bourgogne, votre arrière-grand-oncle, et à côté de messire Hugues de Montmorency, allié à nous en 1310.

A voir cette figure de jeune fille si douce, on serait tenté de révoquer en doute la vérité de la légende, ou de refuser au peintre le talent de saisir l’expression. Quoi qu’il en soit, si jadis je ressemblais à ce portrait, vous seriez bien embarrassés aujourd’hui d’y trouver un trait qui soit à moi. Mais ce n’est pas là ce dont il s’agit. Je vous disais donc que messire Bertrand avait payé son outrecuidance d’un plongeon dans les fossés de notre château. Je ne sais si cette desconfiture l’avait guéri de son amour, mais on prétend qu’il chercha à s’en consoler avec une bande de mécréants, aussi débauchés et aussi païens que lui. De plus il faisait liesse et joyeuse chère en compagnie de madame Jeanne de Rochaiguë, laquelle, pour lui complaire, assassina son mari.

Je vous raconte là, mes enfants, ce que ma bonne me racontait à moi, et c’est seulement pour vous dire que j’avais toujours eu horreur de ce vilain château d’Haubertbois et que l’idée d’y donner un bal costumé me parut fort baroque.

La lettre de mon père me causa une vive contrariété. Quoique les terreurs de mon enfance n’y eussent aucune part, j’éprouvai un violent dépit de quitter Paris, car je soupçonnais le commandeur d’être pour beaucoup dans l’ordre qu’il m’avait apporté. L’idée de me voir traiter en petite fille me révolta ; je compris que M. de Bélièvre, en m’affublant d’un voyage dans les Ardennes, ne voulait que m’empêcher d’accueillir les assiduités de d’Urfé. Je me promis de déjouer ces projets et voici comment je m’y pris.

La première fois que le marquis vint me voir, je le reçus d’un air railleur et je lui fis comprendre que, moi quittant Paris et lui n’étant pas plus avancé dans mes bonnes grâces, je le considérais comme ayant perdu la partie.