Aller au contenu

Page:Lirondelle - Le poète Alexis Tolstoï, l’homme et l’œuvre, 1912.djvu/613

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Ayant remarqué qu’il avait garni ses poches de pelottes de soie, d’épingles et d’autres petits effets destinés à ma toilettes, je me plus à lui demander divers objets dont je feignis d’avoir besoin, afin de le trouver en défaut.

Longtemps cela me fut impossible.

— Ah, que j’ai mal au cœur ! m’écriai-je une fois.

Aussitôt le commandeur plongea sa main dans une de ses poches et en retira une bonbonnière remplie de pastilles qu’il m’offrit silencieusement.

Une autre fois je fis semblant d’avoir mal à la tête.

Le commandeur mit sa main dans ses poches et en sortit un flacon d’eau de la Reine, dont il me demanda la permission de me verser quelques gouttes dans les cheveux.

J’étais découragée.

Enfin j’imaginai de dire que j’avais perdu ma provision de rouge et je demandai vivement à M. de Bélièvres s’il avait pensé à en prendre quelques pots.

La prévoyance du commandeur n’était pas allée jusque-là. Il rougit beaucoup et se confondit en excuses. Alors j’eus la méchanceté de faire semblant de pleurer et je dis qu’on m’avait confiée à un homme qui ne prenait aucun soin de moi.

Je me sentais à demi vengée, car le commandeur, se croyant déshonoré, devint fort triste et se tut le reste de la journée. Cependant le plaisir de tourmenter mon mentor finit par ne plus me suffire. Je ne sais ce que j’aurais imaginé encore si un incident d’un nouveau genre n’était venu rompre la monotonie de notre voyage.

Un soir que nous longions la lisière d’un bois, un cavalier enveloppé d’un manteau parut subitement au détour du chemin, se pencha vers la portière et disparut aussitôt. Ce mouvement fut si rapide, que c’est à peine si je m’aperçus que le cavalier avait laisse tomber un petit papier sur mes genoux. Quant au commandeur, il n’avait rien vu du tout. Le papier ne contenait que ces mots : « A une lieue d’ici vous serez forcée de vous arrêter pour la nuit. Quand tout le monde sera endormi, une voiture viendra stationner sous vos fenêtres. Si vous donnez l’alarme à vos gens, je me ferai tuer sous vos yeux, mais je ne renoncerai jamais à une entreprise que