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Page:Lirondelle - Le poète Alexis Tolstoï, l’homme et l’œuvre, 1912.djvu/614

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vous m’avez défié de tenter et dont la réussite peut seule m’attacher à la vie. »

En reconnaissant l’écriture du marquis je jetai un petit cri qui fit tourner la tête au commandeur.

— Qu’avez-vous donc. Madame ? me dit-il tout surpris.

— Rien, répondis-je, en cachant le billet, c’est une crampe qui m’a prise au pied !

Ce mensonge que je fis une trentaine d’ années avant que n’eût paru le Barbier de Sévllle, vous prouve que c’est mol qui en ai eu la première idée et non pas Beaumarchais comme vous pourriez le croire.

Le commandeur plongea aussitôt sa main dans une de ses poches et en retira un fer aimanté qu’il m’offrit pour l’appliquer sur l’endroit souffrant.

Cependant plus je pensais à l’audace du marquis, plus je me sentais portée à admirer ce caractère aventureux. Je rendis grâce à la mode de mon temps qui prescrivait à une femme de condition de voyager la figure couverte d’un loup, car sans cet auxiliaire, le commandeur se serait aperçu de mon trouble. Je ne doutai pas un instant que le marquis exécutât ce qu’il s’était proposé, et j’avoue que connaissant le fanatisme de M. de Bélièvre à l’endroit de ses devoirs, je craignis en ce moment bien plus pour la vie de M. d’Urfé que pour ma propre réputation.

Bientôt les deux laquais qui nous précédaient à cheval vinrent nous annoncer que nous ne pourrions coucher dans le petit bourg désigné par M. de Bélièvre pour notre quartier de nuit, attendu qu’on y venait de casser un pont, mais que le chef d’office nous avait préparé un souper dans une maison de chasse située sur le grand chemin et appartenant à M. le marquis d’Urfé.

A ce nom je vis que le commandeur fronçait les sourcils et j’eus peur qu’il ne prit vent des projets du marquis.

Il n’en fut rien pourtant, car nous arrivâmes à la maison de chasse sans que le commandeur trahît la moindre appréhension. Après souper il s’inclina profondément devant moi, comme il avait coutume de