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THUCYDIDE, LIV. I.

même à ce que vous possédez. Vainqueurs, les Athéniens s’avancent le plus loin possible ; vaincus, ils ne reculent que de peu. Ils sacrifient leurs corps comme s’ils leur étaient tout-à-fait étrangers, et leur pensée, comme un bien qu’ils doivent à la patrie. S’ils ne réussissent pas dans ce qu’ils ont projeté, ils se croient dépouillés d’un bien qui leur était propre. Ont-ils saisi l’objet de leur ambition, ils croient avoir peu obtenu en comparaison de ce qui leur reste à faire ou de ce qu’ils avaient droit d’attendre. Ont-ils échoué, déjà de nouvelles espérances ont rempli le besoin de leurs cœurs.

» Seuls entre tous les hommes, ils ont en même temps qu’ils espèrent, tant est rapide l’exécution de leurs idées ! Tout cela se fait au milieu des dangers et des fatigues d’une vie continuellement tourmentée. Sans cesse occupés de nouvelles acquisitions, ils jouissent peu de ce qu’ils possèdent. Remplir leurs devoirs, voilà la seule fête qu’ils connaissent : une paisible inaction ne leur semble pas moins un malheur qu’une continuelle activité : en un mot, on dirait qu’ils sont nés et pour ne pas connaître le repos, et pour le ravir au reste des hommes.

Chap. 71. » Voilà les ennemis que vous avez en tête, Lacédémoniens, et vous temporisez ! Et selon vous, l’idée entièrement complète du repos ne se trouverait pas chez des hommes qui, dans leurs démarches extérieures ne commettant point d’injustices, dans leur façon de penser se montreraient déterminés à ne point souffrir d’outrages. Le repos, l’égalité parfaite, vous les faites consister non seulement à ne provoquer qui que ce soit par des injustices, mais encore à ne pas supporter les moindres mouvemens pour vous en garantir. À peine cependant obtiendriez-vous cet avantage, si vous aviez pour voisine une république semblable à la vôtre. Aujourd’hui, vérité que nous venons de démontrer, vos principes, comparés aux leurs, respirent trop les mœurs antiques. Or, en politique comme dans les arts, les nouveautés doivent nécessairement avoir l’avantage. Pour une république qui jouit d’une paix inaltérable, les institutions immuables sont les meilleures ; mais quand on est forcé de faire face à beaucoup d’objets nouveaux, il faut beaucoup de ressources nouvelles. Aussi le gouvernement athénien, en raison de la multiplicité de ses tentatives, a-t-il cet air de jeunesse qui vous manque.

» Aujourd’hui enfin, que votre lenteur connaisse des bornes. Fidèles à vos promesses, venez au secours des Potidéates et autres alliés, en faisant une prompte irruption dans l’Attique. Ne livrez pas à leurs plus mortels ennemis, des hommes que vous aimez, et qui ont avec vous une même origine, et ne nous réduisez pas à nous jeter de désespoir dans une certaine alliance. Y recourir, ce ne serait offenser ni les dieux, témoins de vos anciens sermens, ni les hommes raisonnables. En effet, on ne doit pas imputer la violation des traités à celui qui, dans l’abandon, recherche de nouveaux amis, mais à ceux qui laissent sans secours des amis qu’ils avaient juré de défendre. Voulez-vous montrer du zèle, nous vous demeurerons unis ; car nous serions coupables de changer légèrement. Et où trouverions-nous des alliés plus assortis à nos mœurs ? Prenez donc sur cet objet une résolution sage, et faites qu’entre vos mains le commandement du Péloponnèse ne perde rien de l’étendue qu’il avait lorsque vos ancêtres vous le transmirent. »

Chap. 72. Ainsi parlèrent les Corin-