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THUCYDIDE, LIV. I.

pour prendre les armes. Le caractère des hommes modérés est de rester tranquilles tant qu’on ne leur fait pas injure : celui des hommes courageux qu’on opprime, de passer de la paix à la guerre, et, après la victoire, de la guerre à la réconciliation ; de ne pas se laisser enivrer par le succès de leurs armes, et de ne pas supporter d’injustices, flattés du repos de la paix. Car celui que les douceurs du repos engourdissent, se verra bientôt enlever, s’il persiste dans son inaction, la jouissance de ce repos dont le charme le rend timide ; et celui qui, en guerre, abuse de la prospérité, ne pense pas qu’il est le jouet de sa perfide confiance. Bien des projets mal conçus réussissent, grâce à des ennemis moins sages ; et plus souvent encore des desseins qui semblaient bien concertés, n’ont qu’une honteuse issue. Il existe en effet une grande différence entre la confiance avec laquelle on projette, et celle avec laquelle on exécute : on délibère avec sécurité ; mais dans l’action, on craint et l’on faiblit.

Chap. 121. » Pour nous, c’est après des offenses multipliées, c’est avec de justes sujets de plainte, que nous allumons la guerre : vengés des Athéniens, nous déposerons à temps les armes. Tout nous promet la victoire : d’abord le nombre de nos troupes et l’expérience des combats ; ensuite notre parfait accord à exécuter les ordres des chefs. Quant à l’avantage que donne à nos ennemis la supériorité de leur flotte, nous l’obtiendrons avec les contributions de chacun de nous et à l’aide des trésors déposés chez les Delphiens et dans l’Olympie. En faisant un emprunt, nous leur débaucherons, par une plus haute solde, leurs matelots étrangers ; car la puissance athénienne est plutôt achetée à prix d’argent que personnelle : la nôtre, fondée sur notre, population plus que sur nos richesses, est plus indépendante. Une seule victoire navale, selon toute apparence, les met dans nos mains. S’ils résistent, nous aurons plus de temps pour nous exercer à la marine ; et quand nous les aurons égalés dans la science, nous les surpasserons en courage. Ce que nous devons à la nature, l’instruction ne peut le leur donner ; ce qu’ils doivent à la science, c’est à nous de le leur enlever par des exercices assidus. Faut-il de l’argent ? Nous le fournirons. Quoi ! leurs alliés ne se refusent pas à des contributions destinées à les assujettir, et nous, lorsqu’il s’agit d’assurer notre salut en nous vengeant de nos ennemis, nous pourrions craindre une dépense dont le but est d’empêcher qu’un jour, nous ravissant ces trésors épargnés, ils ne tournent à notre perte nos propres économies !

Chap. 122. » Nous avons d’autres moyens encore de leur faire la guerre : soulever leurs alliés, et par là les dépouiller de ces revenus qui fondent leur puissance ; élever des fortifications sur leur territoire ; mille ressources enfin qu’on ne saurait prévoir en ce moment : car dans la guerre les événemens ne suivent pas la marche qu’on leur trace dans un discours ; c’est d’elle-même que, selon les circonstances, elle tire quantité d’expédiens. Quiconque s’y conduit avec prudence est plus assuré du succès : celui qui s’y livre à l’emportement, court sa perte.

» Considérons pourtant nos justes sujets de crainte. Si chacun de nous n’avait que des querelles de limites avec des ennemis égaux en forces, il saurait se défendre : mais ici les Athéniens, assez forts pour tenir seuls contre nous tous ensemble, seraient bien plus redoutables encore contre chacune de nos villes en particulier. Si donc nous ne