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THUCYDIDE, LIV. I.

tabaze, homme sûr et fidèle : traite hardiment avec lui de tes affaires et des miennes, et conduis-les de la manière que tu jugeras la meilleure et la plus utile pour tous deux. »

Chap. 130. D’après une telle lettre, Pausanias, qui s’était acquis la plus grande distinction dans l’Hellade, pour avoir commandé à la bataille de Platée, conçut encore bien plus d’orgueil. Ne sachant plus se conformer aux mœurs de sa nation, il sortait de Byzance vêtu de la robe des Perses ; et, quand il traversait la Thrace, une garde perse et égyptienne l’escortait : il faisait servir sa table avec la somptuosité des Perses. Incapable de renfermer ses projets en lui-même, il manifestait, dans de petites choses, ce qu’il se proposait avec le temps d’exécuter de plus considérable. Il se rendit inaccessible, et se montrait, à tout le monde indistinctement, si intraitable, que personne ne pouvait l’aborder. Ce ne fut pas une des moindres raisons qui engagèrent les Hellènes à passer de l’alliance de Lacédémone à celle d’Athènes.

Chap. 131. Les Lacédémoniens, instruits de ces procédés, le rappelèrent pour lui en demander compte ; et lorsque, sans ordre de leur part, il eut osé remettre en mer sur la trirème Hermionide, on ne douta plus de ses desseins. Forcé par les Athéniens de sortir de Byzance, il ne revint point à Sparte ; mais on apprit qu’il se fixait à Colones de la Troade ; qu’il ne s’y arrêtait pas à bonne intention, et qu’il intriguait auprès des Barbares. On crut alors ne devoir plus dissimuler. Les éphores lui envoyèrent un héraut muni de la scytale, avec injonction d’accompagner le héraut ; sinon les Spartiates lui déclareraient une guerre ouverte. Craignant de se rendre suspect, et se flattant qu’avec de l’or il se laverait du crime qu’on lui imputait, il revint une seconde fois à Sparte. D’abord mis en prison par ordre des éphores, car ils ont le pouvoir de faire subir ce traitement aux rois eux-mêmes, il parvint, à force de corruption, à en sortir, se constituant lui-même en jugement et répondant de sa justification.

Chap. 132. Ni les Spartiates, ni ses ennemis, ni toute la république, n’avaient aucune preuve assez forte qui autorisât à punir un homme du sang royal, alors revêtu d’une haute dignité. En qualité de cousin de Plistarque, fils de Léonidas, décoré du titre de roi, mais trop jeune pour en exercer les fonctions, il avait la tutelle de ce prince. Mais cependant cette affectation de braver les lois de son pays, d’imiter les mœurs des Barbares, donnait bien droit de soupçonner qu’il voulait être plus qu’un particulier. On remontait à l’examen de sa vie ; on recherchait s’il s’était écarté des lois reçues ; on se rappelait qu’autrefois, sur le trépied que les Hellènes consacrèrent chez les Delphiens des prémices du butin fait sur les Mèdes, il avait osé, comme s’il eût été son offrande particulière, faire graver ces mots : Le général Pausanias, vainqueur de l’armée des Mèdes, a consacré ce monument à Apollon. Les Lacédémoniens avaient aussitôt fait effacer cette inscription, et graver le nom des villes qui, en commun, victorieuses des Barbares, avaient consacré cette offrande. Dans le temps, cet acte de présomption de Pausanias parut un attentat : mais depuis qu’il se trouvait dans la circonstance que je viens de raconter, l’acte de présomption avait une bien plus frappante analogie avec ses desseins actuels. Le bruit se répandit aussi qu’il intriguait auprès des Hilotes, et ce bruit était fondé. Il leur promettait la liberté et l’état de citoyens, s’ils se soulevaient avec lui et secon-