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THUCYDIDE, LIV. I.

daient ses projets. Néanmoins, on jugea inconvenant de prononcer, sur la foi d’indices donnés par des Hilotes, un arrêt extraordinaire contre Pausanias. La conduite des Lacédémomens était celle qu’ils ont coutume de tenir entre eux : ils ne se hâtent jamais de prononcer des peines capitales contre un Spartiate, sans avoir des preuves incontestables. Mais enfin, dit-on, un homme d’Argile, que Pausanias avait autrefois aimé, qui jouissait de sa confiance, et qui devait porter à Artabaze ses dernières dépêches pour le roi, devint son dénonciateur. Inquiet, sur la réflexion que jamais aucun des émissaires précédemment envoyés n’était revenu, il ouvrit les lettres, après en avoir contrefait le cachet, pour les refermer s’il se trompait dans ses soupçons, ou pour que Pausanias ne s’aperçût de rien s’il les redemandait pour y faire quelque changement. Il y trouva l’ordre de lui donner la mort : il s’était douté qu’elles contenaient quelque chose de semblable.

Chap. 133. Quand il eut présenté ces lettres aux éphores, ils crurent davantage a la dénonciation ; mais ils voulurent entendre parler Pausanias lui-même. D’accord avec eux, le dénonciateur se réfugia au Ténare, en qualité de suppliant, et s’y construisit une cabane qu’il partagea en deux par une cloison, et où il cacha quelques éphores. Pausanias vint le trouver et lui demanda le sujet de ses craintes. Les éphores entendirent tout distinctement, et les reproches de l’homme sur ce que Pausanias avait écrit à son sujet, et tous les détails dans lesquels il entra. Jamais, disait-il, il ne l’avait trahi dans ses messages auprès du roi, et en reconnaissance il obtenait la préférence de mourir comme tant d’autres de ses serviteurs. Ils entendirent Pausanias convenant de tout, l’engageant ne pas garder de ressentiment, l’assurant qu’il pouvait quitter son attitude de suppliant et sortir de l’hiéron, le pressant de partir au plutôt et de ne pas mettre obstacle à ses négociations.

Chap. 134. Les éphores se retirèrent après avoir tout entendu. Désormais bien assurés du crime, ils prirent des mesures pour arrêter Pausanias dans la ville. On raconte qu’il allait être pris sur le chemin, mais qu’à l’air d’un des éphores qui s’avançaient, il devina quel était le projet. Sur un signe secret et bienveillant d’un autre éphore, il courut à l’hiéron de la déesse au temple d’airain, et prévint ceux qui le poursuivaient. L’hiéron n’était pas loin. Il s’arrêta dans un logement de l’enceinte sacrée, afin de se garantir des intempéries de l’air. Les éphores étaient arrivés trop tard pour le prendre ; mais bientôt ils enlevèrent le toit du logement, et, après s’être assurés qu’il était en dedans, craignant qu’il n’en sortît, ils murèrent les portes, restèrent à le garder et l’assiégèrent par la faim. Quand ils s’aperçurent qu’il était près de rendre le dernier soupir, ils le tirèrent de l’hiéron n’ayant plus qu’un souffle de vie ; aussitôt après, il expira. Leur première idée fut de le jeter dans le Céade, lieu destiné aux malfaiteurs ; mais ils prirent le parti de l’enterrer dans quelque endroit du voisinage.

Le dieu qui a son hiéron chez les Delphiens, ordonna dans la suite aux Lacédemoniens de transporter le tombeau de Pausanias à l’endroit où il était mort. On le voit encore aujourd’hui dans les propylées de l’enceinte sacrée ; ce qu’indique une inscription gravée sur des colonnes. Le dieu déclara aussi qu’ils avaient commis un sacrilége, et leur ordonna d’offrir à la déesse deux corps au lieu d’un. Ils firent jeter en fonte et consacrèrent deux statues d’airain, représentation de Pausanias.