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leur donner à la paix des villes et des terres pour s’y établir avec leurs familles ; et de ne point les obliger de porter les armes contre Crésus, dont ils étaient satisfaits.

Nous verrons que les armés à la légère se tenaient ordinairement sur le front ; Cyrus semble donc avoir interverti les principes de la tactique adoptée par les Grecs, lorsqu’il place ses gens de trait derrière la phalange. Mais ce général habile avait surtout en vue d’augmenter la profondeur de son ordre de bataille, afin d’obliger les deux corps qui voulaient l’envelopper d’étendre au loin leur mouvement excentrique. Ce prince pensait aussi que les ennemis étant sur beaucoup de hauteur, les traits de ses archers, quoiqu’ils fussent lancés par ligne courbe, porteraient certainement dans des rangs aussi pressés. C’était d’ailleurs la coutume qu’au moment du choc, les troupes légères se retirassent à travers les intervalles des sections, et Cyrus devait craindre, vu leur grand nombre, qu’elles ne missent la confusion et le désordre dans ses lignes.

Les parties de l’armée de Crésus, qui se replièrent en forme de tenaille, devaient être chacune de vingt-cinq mille hommes, et les réserves de Cyrus, composées seulement de mille chevaux et de mille fantassins, paraissent bien faibles pour arrêter deux corps aussi considérables.

Mais il ne faut pas perdre de vue qu’on tendait un piége ; que si les ennemis en avaient eu connaissance, ils pouvaient dédoubler leurs files, qui étaient sur trente de profondeur, en tirer un renfort pour protéger leurs flancs, et même prendre l’armée des Perses par les derrières. Il fallait donc avant tout couvrir les troupes de l’embuscade ; et comment le faire si elles eussent été plus nombreuses ? … L’escadron de chameaux, pour produire son effet, devait se montrer inopinément, l’aspect et l’odeur de ces animaux occasionnant aux chevaux une frayeur insurmontable ; or, si la cavalerie avait pu les apercevoir, elle les eût évités ; l’infanterie venait alors à sa place.

Les chariots, placés sur les côtés, servirent donc merveilleusement à cacher toutes ces dispositions. Ils étaient plus forts que ceux de Crésus. Les faux dont on les avait armés ne pouvaient manquer d’exciter la surprise et la terreur que produit toute invention nouvelle dans une circonstance semblable. C’est ici un effet moral qu’il ne faut jamais négliger, et peut-être Cyrus eut-il tort de ne pas renforcer ses flancs d’une ligne de chariots de bagages, soutenue par des gens de trait. Il est toujours dangereux de laisser les troupes dans une situation qui leur donne de l’inquiétude ; les généraux eux-mêmes étaient alarmés ; cet effet moral pouvait avoir des suites fâcheuses, si les chariots de guerre eussent été repoussés.

Les Perses qui, sous la conduite de Cyrus, étaient devenus des soldats invincibles, dégénérèrent lorsque le faste et le luxe s’introduisirent dans les armées, après la mort du conquérant. Les successeurs de ce prince, pleins de confiance dans le nombre des troupes qu’ils pouvaient rassembler, négligèrent d’abord la discipline et bientôt oublièrent totalement la tactique. Alors ce vaste empire, qui, d’un côté, s’appuyait sur l’Inde, et touchait de l’autre l’Archipel et la mer Caspienne, s’écroula dans un jour. Alexandre avait regardé l’Asie.




CHAPITRE II.


Invasion de Darius ; bataille de Marathon. — Invasion de Xerxès ; combat des Thermopyles.


Les états de la Grèce, gouvernés par des rois, venaient de se constituer en ré-