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THUCYDIDE, LIV. II.

sépulcre où nous venons déposer leurs cendres, mais ce monument plus durable auquel leur gloire est confiée, pour être à jamais célébrée toutes les fois que l’occasion s’offrira ou de louer la bravoure ou d’en donner l’exemple. Le monde, oui, le monde entier est la tombe des grands hommes : et ce n’est pas seulement dans leur patrie que des colonnes et des inscriptions publient leur gloire ; sans le secours du burin, leur nom pénètre chez les peuples étrangers, gravé dans les cœurs bien mieux que sur la pierre.

» Animés, Athéniens, par de si grands exemples, et convaincus que le bonheur est dans la liberté et que la liberté est le prix du courage, ne refusez jamais des périls glorieux. Eh ! qui doit avec le plus d’ardeur prodiguer sa vie dans les combats ? Est-ce donc l’infortuné qui n’a point d’avantage à s’en promettre ? N’est-ce pas plutôt celui dont un jour de plus peut changer toute la destinée, celui surtout pour qui le moindre revers aurait les plus funestes résultats ? Ah ! combien l’avilissement qui suivrait un moment de faiblesse est-il plus insupportable à des cœurs généreux, qu’une mort, oserai-je dire, insensible, qui surprend le guerrier à l’instant où il n’est pénétré que de la conscience de ses forces et du sentiment de la félicité publique !

Chap. 44. » Aussi ne sont-ce pas des pleurs, mais des consolations et une leçon que j’offre maintenant aux pères des guerriers dont nous célébrons la mémoire ; ils savent que leurs fils naquirent soumis aux vicissitudes de la fortune.

» Heureux donc ceux à qui le sort a réservé, ou, comme à vos enfans, la plus belle fin, ou, comme vous, le plus noble sujet de douleur ! Heureux ceux pour qui la main des dieux placa la prospérité aux bornes mêmes de la vie ! Je le sens néanmoins, il sera difficile à vos cœurs de rester pénétrés de cette vérité, lorsque vous verrez vos concitoyens heureux de la possession de ces mêmes objets qui faisaient auparavant toute votre joie ; car la vraie privation n’est point dans l’absence des biens qu’on ne connaît pas, mais dans la perte des jouissances dont on a long-temps savouré la douceur. C’est maintenant au reste qu’il faut rappeler toute votre constance. Ceux à qui l’âge laisse encore l’espoir d’être pères, trouveront dans de nouveaux enfans un adoucissement aux larmes qu’ils répandent aujourd’hui, et la république en retirera le double avantage d’une population plus nombreuse et d’un concours unanime au bien général. Ceux en effet qui, n’ayant point d’enfans à offrir à la patrie, n’ont pas les mêmes risques à courir, peuvent-ils apporter le même esprit de justice, la même égalité d’âme aux délibérations publiques ?

» Quant à ceux que la vieillesse a déjà blanchis, et qui ne voient que des jours sereins sur la route laissée derrière eux, le court espace qui leur reste à parcourir leur paraîtra moins pénible lorsqu’ils y verront empreinte à chaque pas la gloire de leurs fils : amour de la gloire ! seul sentiment qui jamais ne vieillisse ! car, dans cette ruine universelle de l’homme succombant sous le poids des années, ce n’est pas, comme quelques-uns le prétendent, la passion des richesses qui survit ; c’est la passion de l’honneur.

Chap. 45. » Et vous enfans, vous frères des guerriers que je célèbre, quelle glorieuse carrière je vois s’ouvrir à vos efforts ! On prodigue volontiers les éloges à ceux qui ne sont plus. Un jour, peut-être, vous les surpasserez : mais alors même, vous n’obtiendrez