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THUCYDIDE, LIV. III.

Chap. 9. « Lacédémoniens, et vous alliés, nous connaissons l’usage généralement suivi chez les Hellènes. Que, dans le cours d’une guerre, un peuple se détache d’une première alliance pour entrer dans une autre, ses nouveaux alliés l’accueillent avec empressement, comme un utile auxiliaire ; mais tout en l’accueillant, ils le méprisent, parce qu’ils croient voir dans sa conduite un acte de trahison envers d’anciens amis. Ce sentiment n’a rien d’injuste sans doute, lors qu’entre ceux qui renoncent à une alliance et ceux dont ils se séparent il y avait conformité de vues, réciprocité de bienveillance, parité dans les préparatifs et dans les forces respectives ; et si, d’ailleurs, il n’existait entre eux nul motif plausible de rupture. Mais aucun de ces liens n’unissait les Athéniens et nous.

Chap. 10. » Que personne ne croie donc avoir le droit de nous mépriser, parce que, traités honorablement pendant la paix, nous les abandonnons au milieu des dangers ; car, au moment où votre alliance nous est nécessaire, c’est avant tout sur le juste et l’honnête que se fondera notre discours, bien convaincus qu’il ne peut exister ni solide affection entre des particuliers, ni confédération stable entre des états, si leurs liaisons ne sont fondées sur la connaissance réciproque de leurs vertus, et si d’ailleurs il n’y a pas entre eux conformité de goûts et d’inclinations ; car de la diversité des principes naît la diversité des actions.

» Pour nous, notre alliance avec Athènes a commencé lorsque vous vous retirâtes de la guerre des Mèdes, et qu’eux-mêmes restaient en armes pour détruire les restes de cette guerre. Toutefois nous devenions alliés non des Athéniens pour asservir les Hellènes, mais des Hellènes pour les soustraire à l’esclavage des Mèdes. Tant qu’ils ont commandé en respectant les droits des peuples, nous les avons suivis avec zèle. Mais dès que nous vîmes se refroidir leur haine contre les Mèdes, et tous leurs efforts se diriger contre l’indépendance de leurs alliés, dès-lors nous ne fûmes plus sans craintes. À cause d’une fatale répartition du droit de suffrage entre les différentes villes de Lesbos, nous ne pouvions former un seul corps et résister aux Athéniens. Leurs alliés furent donc asservis, excepté nous et ceux de Chio. Pour nous, autonomes et libres de nom, nous continuâmes de porter les armes avec Athènes, ne voyant plus dans les Athéniens, d’après la leçon du passé, que des chefs indignes de notre confiance. En effet, après avoir vu passer sous leur joug tous ceux qu’avec nous ils avaient compris dans le même traité, pouvait-on douter qu’ils ne nous réservassent un sort pareil, si jamais, comme il n’était que trop à craindre, leur puissance répondait à leur ambition ?

Chap. 11. » Si nous jouissions tous encore d’une parfaite indépendance, nous serions plus assurés qu’ils ne trameraient rien contre nous : mais ayant soumis le plus grand nombre, pouvaient-ils supporter patiemment cette égalité que nous seuls conservions encore ? pouvaient-ils nous voir sans ombrage, auprès d’une multitude déjà humblement courbée, seuls marchant encore leurs égaux, alors surtout que plus ils se surpassaient eux-mêmes en puissance, plus aussi nous nous trouvions isolés ? Or une crainte réciproque, fondée sur l’égalité des forces, donne seule des garanties pour une alliance : en effet, celui qui voudrait enfreindre le traité, n’ayant pas la supériorité, renonce à l’idée de l’attaque. Si jusqu’à ce jour ils nous ont laissés autonomes, c’est uniquement