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THUCYDIDE, LIV. III.

parce qu’il leur était démontré qu’ils ne réussiraient dans leurs projets de domination qu’en empruntant le langage de la modération, et en allant à leurs fins plutôt par d’adroites intrigues que par la force et la violence. En effet, ils alléguaient, comme un témoignage en leur faveur, que des peuples, leurs égaux en suffrages, n’auraient pas, contre leur propre volonté, pris les armes avec eux, si ceux qu’ils attaquaient n’eussent pas commis des injustices ; et, tout en même temps, ils poussaient les plus forts contre les plus faibles, et, nous réservant leurs derniers coups, ils devaient, après l’asservissement des autres alliés, nous trouver incapables de résistance. S’ils nous avaient attaqués les premiers, lorsque tous avaient encore et leurs propres forces et un point d’appui, ils nous eussent moins facilement subjugués ; ils craignaient d’ailleurs que notre marine réunie tout entière à vous ou à quelque autre puissance ne les mît en danger. Ce qui a contribué encore à notre salut, c’est que nous recherchions la faveur et du peuple et des chefs qui se trouvaient successivement, à la tête des affaires. Néanmoins, jugeant par le sort des autres de celui qui nous attendait, nous ne nous flattions pas de pouvoir subsister encore long-temps, si cette guerre ne se fût élevée.

Chap. 12. » Eh ! qu’était-ce donc que cette liberté inviolable, ces protestations d’amitié que le cœur démentait ? Nos alliés nous caressaient par crainte en temps de guerre ; durant la paix, nous tenions la même conduite envers eux : en sorte qu’entre nous la crainte servait de base à cette même confiance qui chez les autres a la bienveillance pour fondement. Alliés par crainte plutôt que par amitié, ceux à qui la certitude du succès donnerait le plutôt de l’audace, devaient être aussi les premiers, à rompre les traités. Si, parce que les Athéniens différaient d’en venir contre nous aux derniers excès, on nous trouve coupables de les avoir prévenus par cette rupture, au lieu d’attendre qu’une funeste expérience eût confirmé nos craintes, on porte un faux jugement : car si nous étions assez forts pour opposer embûches à embûches, délais à délais, pourquoi, leurs égaux, nous condamner à languir dans leur dépendance ? Il est toujours en leur pouvoir de nous accabler : comment donc nous refuserait-on le droit de nous défendre en prévenant nos oppresseurs !

Chap. 13. » Telles sont, ô Lacédémoniens et alliés, les causes de notre défection : claires et prouvant à ceux qui nous entendent que notre conduite est raisonnable, elles étaient bien de nature à nous effrayer, et à nous avertir de songer à notre sûreté. Depuis long-temps ce soin nous occupait, puisque, même encore en paix, nous envoyâmes négocier auprès de vous notre rupture avec Athènes. Le refus de votre alliance nous liait les mains. Mais aujourd’hui, sollicités par les Béotiens, nous nous sommes empressés de répondre à leurs vœux, et nous avons cru devoir effectuer une double défection, d’abord en abandonnant des Hellènes alliés d’Athènes, non seulement pour ne pas concourir avec elle à l’asservissement de ces Hellènes, mais encore pour partager avec vous la gloire de leur affranchissement ; ensuite en nous séparant des Athéniens pour échapper nous-mêmes, en les prévenant, à l’anéantissement dont plus tard ils nous menaçaient.

» Si notre rupture a éclaté trop tôt, et avant que nous eussions complété nos préparatifs, ce doit être pour vous un nouveau motif de nous admettre à votre alliance et de nous secourir promptement ; afin qu’on voie tout-à-la-fois que