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THUCYDIDE, LIV. IV.

lorsqu’ils apprirent l’arrivée de la flotte péloponnésienne à Corcyre. Ils redoublèrent aussitôt de vitesse. Mais Démosthène voulait qu’ils risquassent d’abord une descente à Pylos, et qu’ils ne poursuivissent leur route qu’après avoir achevé sur ce point les opérations nécessaires. On contrariait son projet : une tempête survenue fort à propos porta les vaisseaux à Pylos. Démosthène aussitôt propose de fortifier la place, et représente à ses collègues que tel avait été l’unique but de son départ avec eux ; que le lieu abondait en bois et en pierres ; qu’il était déjà fortifié par la nature, et entièrement abandonné, ainsi qu’une grande étendue des terres circonvoisines. Pylos, en effet, éloignée de Sparte d’environ quatre cents stades, est située dans le canton qu’on appelait autrefois Messénie ; et les Lacédémoniens appellent ce lieu Coryphasium. Les deux généraux répondirent que la côte du Péloponnèse lui présenterait bien d’autres promontoires déserts, s’il voulait épuiser le trésor de l’état à les occuper. Démosthène répliquait que celui-là lui paraissait d’une tout autre importance que les autres, à cause du port attenant ; que de tout temps les Messéniens avaient été dévoués à sa personne ; que, parlant la langue des Lacédémoniens, ils pourraient, partant de Pylos, les incommoder par des courses continuelles, et fourniraient en même temps une garnison sûre pour la garde de ce poste important.

Chap. 4. Ne pouvant persuader ni les généraux, ni les soldats, ni les taxiarques, auxquels aussi il avait communiqué son projet, il se tint dans un repos forcé. La mer continuant cependant à n’être pas navigable, l’inaction faisait fermenter les esprits : tout-à-coup la fureur de fortifier la place s’empare de l’armée ; elle se met à l’ouvrage. On manquait d’outils pour tailler les pierres ; le soldat apporte, emploie celles qui lui paraissent s’adapter le mieux ensemble. Le mortier nécessaire, faute d’auges, il le charge sur son dos, en se courbant de manière que rien ne s’écoule ; et pour le contenir encore mieux, il l’embrasse avec ses mains jointes par derrière. En un mot, avant que les Lacédémoniens arrivent au secours, chacun, de son côté, s’empresse de terminer les fortifications des endroits les plus faibles ; car la plus grande partie, fortifiée par la nature, n’avait pas besoin de murailles.

Chap. 5. On célébrait une fête à Sparte, lorsqu’arriva cette nouvelle ; elle fit peu de sensation. Les Lacédémoniens se flattent qu’il leur suffira de se mettre en marche ; que l’ennemi n’attendra pas, ou sera aisément forcé. Leur armée d’ailleurs, qui était encore dans l’Attique, fut encore une cause de retard. Cependant les Athéniens ont achevé en six jours les fortifications, et du côté qui regarde le continent, et sur tous les points qui en avaient besoin : ils laissent Démosthène avec cinq vaisseaux pour garder la place, et, avec le reste plus nombreux de leur flotte, ils se hâtent de cingler vers Corcyre, pour se rendre ensuite en Sicile.

Chap. 6. Les Péloponnésiens qui étaient dans l’Attique, à la première nouvelle de la prise de Pylos, regagnent précipitamment leur pays. Les Lacédémoniens, et Agis, leur roi, considéraient l’affaire de Pylos comme leur étant personnelle. D’ailleurs, l’irruption ayant été prématurée et le blé étant encore vert, ils manquaient de vivres pour la plupart ; et le froid, survenu avec plus de force que ne le comportait la saison, tourmentait beaucoup leur armée. Ainsi toutes sortes de raisons les obligèrent de hâter leur retraite et d’abréger la durée de cette