Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/26

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 25 —

seur, crut devoir terminer une guerre qui durait depuis cinquante et un ans, et pendant laquelle l’empire des Perses avait éprouvé des secousses considérables. Il accepta un traité où l’on stipula que toutes les villes grecques situées en Asie seraient déclarées libres, et que les troupes d’Artaxerxès n’approcheraient de la Grèce qu’à une distance telle qu’elles ne pussent inspirer aucune inquiétude.

Pendant cette longue guerre, la frugalité des Grecs leur donna sans doute une grande supériorité sur des ennemis efféminés ; mais ce fut peut-être la moindre cause de leurs succès. L’habitude des exercices militaires et l’habileté de leurs généraux y contribuèrent encore plus. On ne regardait point ces connaissances comme des choses de pure curiosité ; on ne croyait pas non plus que l’ignorance dût être le partage des gens de guerre ; alors les soldats étudiaient et les philosophes portaient les armes. Les professions n’étaient point isolées et séparées les unes des autres, comme elles l’ont été depuis dans les gouvernemens monarchiques. Tous les citoyens, sans aucune exception, étaient obligés de servir la patrie ; il ne leur était permis de négliger aucun des talens qui pouvaient lui être utiles ; chacun rivalisait pour les acquérir au degré le plus éminent.

Les princes et les républiques entretenaient à leurs frais des maîtres qui enseignaient la tactique, c’est-à-dire la science de ranger les troupes et de les dresser aux différentes évolutions militaires. À Pella, capitale de la Macédoine, il y avait un grand nombre de tacticiens qui touchaient des appointemens considérables. Cette libéralité des princes n’a pas peu contribué à la gloire que les Macédoniens se sont acquise.

Le mérite militaire particulier aux Grecs, depuis l’origine de leur milice jusqu’à nos jours, a toujours résidé dans la tactique proprement dite. Nous verrons cependant que le plan formé par Alexandre pour la conquête de l’Asie, est une conception de stratégie des plus savantes, qui pourrait encore aujourd’hui servir de modèle à tout conquérant. Le passage suivant, tiré de la Cyropédie, prouve d’ailleurs qu’encore que les Grecs fissent de la tactique la base de l’art de la guerre, ils ne la considéraient cependant que comme une petite partie des connaissances d’un général.

« Je me souviens, dit Cyrus à Cambyse, que vous ayant prié de donner une récompense à celui qui m’avait enseigné l’art militaire, vous me fîtes des questions sur l’administration d’une armée, et que vous vous mîtes à rire lorsque je vous avouai que je ne connaissais que les ordres de bataille. À quoi cela vous servira-t-il, me dîtes-vous, si vos troupes manquent du nécessaire, si les maladies les tourmentent, ou qu’elles soient mal disciplinées ? Vous a-t-on appris de quelle manière on dispose une marche selon qu’elle a lieu la nuit ou le jour ; dans les montagnes, dans un défilé ou dans une plaine ? Savez-vous comment il faut camper et poser vos gardes ; dans quel cas on doit attaquer ou faire retraite ; quelles sont les précautions à prendre en passant près d’une ville ennemie ; par quel moyen on peut se préserver des gens de trait ? … Vous me fîtes comprendre que les ordres de bataille, proprement dits, ne sont qu’une bien petite partie de la science de l’homme de guerre. »

Il ne nous reste aucun écrit capable de nous faire juger des progrès que les anciens avaient faits dans cette vaste science qu’ils appelaient l’art de commander les armées. Ces livres dogmatiques existaient pourtant encore du temps des écrivains qui sous le règne des