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THUCYDIDE, LIV. VI.

nous voulions, non qu’ils vinssent nous prêter assistance réciproque, mais qu’ils tinssent en respect nos ennemis de la Sicile et ne leur permissent pas de venir nous attaquer dans notre pays. Nous-mêmes, et tous ceux qui jamais ont commandé, nous défendîmes toujours avec zèle les Hellènes ou les barbares qui nous ont tour à tour implorés. Demeurer en repos, ou examiner scrupuleusement qui l’on doit secourir, c’est, après avoir ajouté quelque chose à sa puissance, le moyen de la compromettre tout entière : car on ne se défend pas contre une puissance supérieure comme la nôtre seulement en repoussant ses attaques, mais en les prévenant. Nous ne sommes pas maîtres de modérer à notre gré l’exercice du pouvoir ; c’est une nécessité de notre position de dresser aux uns des piéges, d’agir sans cesse contre les autres, puisque nous risquons de tomber sous le joug si nous ne l’imposons. N’envisageons pas le repos du même œil que les autres, à moins que nous ne voulions changer nos institutions pour adopter celles d’autrui. Persuadés que, passant en pays étranger, nous étendrons notre domination, embarquons-nous : ce sera humilier l’orgueil des Péloponnésiens que de paraître les mépriser, et de voguer vers la Sicile, au lieu de nous abandonner à un dangereux repos. Ou, ce qui est probable, nous obtiendrons, avec les forces que nous acquerrons dans cette île, l’empire sur toute l’Hellade, ou nous ferons beaucoup de mal aux Syracusains, et par là nous travaillerons pour nous-mêmes et pour nos alliés. Avec notre flotte, nous serons maîtres, ou de rester, si nous obtenons quelque succès, ou de nous retirer ; car notre marine nous donnera la supériorité sur toute la Sicile. Que les raisons de Nicias ne vous touchent point : elles tendent à vous retenir dans l’inaction, et à jeter la division entre les jeunes gens et les vieillards. Suivez l’exemple de vos pères, qui, jeunes et vieux, animés d’un même esprit, ont porté à ce haut degré la splendeur de l’empire. Tâchez, par les mêmes moyens, d’ajouter encore à sa prospérité, et soyez convaincus que la jeunesse et la vieillesse ne peuvent rien l’une sans l’autre ; que le bon, le médiocre et le mauvais réunis, auront la plus grande force ; qu’au sein d’une lâche oisiveté, la république s’usera d’elle-même comme tout le reste, et que toutes les connaissances arriveront à la décrépitude, mais que, dans un état de lutte, elle ajoutera sans cesse à son expérience, et que c’est par des actions, mieux que par des discours, qu’elle apprendra à se défendre. En un mot, je maintiens qu’un peuple actif se détruira s’il passe de l’activité au repos, et que le plus sûr moyen de conservation pour lui est de suivre, au sein de la concorde, ses lois et ses coutumes, même vicieuses. »

Chap. 19. Ainsi parla Alcibiade : excités par ses paroles et les supplications des exilés d’Égeste et de Léontium, qui leur rappelaient la foi des sermens et imploraient des secours, les Athéniens votèrent la guerre avec bien plus de chaleur encore qu’auparavant. Nicias reconnut qu’il ne gagnerait rien sur eux en reproduisant les mêmes raisonnemens dont il avait déjà fait usage ; mais il crut qu’en détaillant les préparatifs qu’exigeait l’entreprise, et les leur montrant énormes, il les ferait peut-être changer d’avis. Il s’avança donc, et leur tint en substance ce discours :

Chap. 20. « Athéniens, je vous vois absolument déterminés à l’expédition : puisse-t-elle donc réussir comme nous le voulons ! Je vais vous faire connaître ce que je pense dans la circonstance ac-