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THUCYDIDE, LIV. VI.

per une ville en pays étranger et ennemi ; qu’il faut, dès le premier jour où nous prendrons terre, nous rendre maîtres de la campagne, ou bien qu’au premier échec tout nous deviendra contraire. Dans cette crainte, et convaincus que nous avons besoin d’une grande sagesse et d’un bonheur plus grand encore (et le bonheur n’est point aux ordres de l’homme), je veux, en partant, m’abandonner le moins possible à la fortune, et prendre des mesures qui garantissent le succès. Voilà, je crois, ce que sollicite l’intérêt de la république entière, et ce qui peut assurer notre salut, quand nous allons combattre pour elle. Si quelqu’un est d’un avis contraire, je lui cède le commandement. »

Chap. 24. Telles furent les considérations que présenta Nicias ; il espérait, en multipliant les difficultés, ou détourner les Athéniens de l’entreprise, ou, s’il était obligé de faire la guerre, partir au moins, de cette manière, en toute sûreté. Mais l’immensité de ces préparatifs, loin de refroidir les Athéniens, ne fit qu’accroître leur ardeur. Il arriva tout le contraire de ce qu’attendait Nicias : ses conseils furent goûtés, et toute crainte fut bannie. Le désir de s’embarquer saisit tout le monde à-la-fois ; les plus âgés, dans l’idée de soumettre le pays vers lequel ils allaient voguer, ou d’être au moins, avec de telles forces, à l’abri des revers ; les plus jeunes, par l’envie de voir et de connaître une contrée lointaine, avec la plus ferme espérance d’en revenir ; la multitude et le soldat, dans l’espoir de gagner de l’argent, d’ajouter à la force de l’état, et d’établir sur la conquête projetée une solde perpétuelle. Au milieu de cette foule avide et passionnée, ceux qui ne goûtaient pas l’entreprise auraient craint, en donnant un avis, de paraître mal intentionnés : ils se taisaient.

Chap. 25. Enfin un Athénien s’avança, et, appelant Nicias par son nom et le sommant de comparaître, lui dit qu’il ne fallait ni chercher des prétextes, ni différer, mais déclarer à l’instant, en présence de tous, quels préparatifs les Athéniens devaient décréter. Obligé de répondre, Nicias dit qu’il en délibérerait plus mûrement et à loisir avec ses collègues ; mais qu’à en juger dans le moment, il ne faudrait pas mettre en mer moins de cent trirèmes ; que les Athéniens fourniraient pour le transport des gens de guerre autant de bâtimens qu’ils jugeraient à propos, et qu’on demanderait le reste aux alliés ; que les hoplites, tant d’Athènes que des villes confédérées, devaient s’embarquer au nombre de cinq mille, et même plus, s’il était possible ; que pour le reste de l’armement, archers d’Athènes et de Crète, frondeurs, enfin pour tout ce qui serait nécessaire, on suivrait la même proportion.

Chap. 26. Il dit : on décréta que les généraux auraient de pleins pouvoirs, et que, pour ce qui concernait le nombre des troupes et toute l’expédition, ils feraient ce qu’ils jugeraient le plus avantageux à l’état. Ensuite commencèrent les apprêts. On dépêcha des ordres aux alliés ; des rôles furent dressés. La république commençait à respirer et de la peste et des maux d’une guerre continue ; elle avait acquis une nombreuse jeunesse et amassé des trésors à la faveur de la suspension d’armes : on satisfaisait donc plus aisément à toutes les réquisitions ; les préparatifs se faisaient.

Chap. 27. On en était occupé lorsque, dans une même nuit, la face de presque tout ce qu’il y avait à Athènes d’hermès de pierre, se trouva mutilée. Les hermès sont des figures carrées, et, suivant l’usage du pays, on en voit un grand nombre, soit aux vestibules des