Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/44

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 43 —

d’où dépendait le destin de la Perse ; mais les Grecs étaient partout vainqueurs, et sans la lâcheté d’Ariée qui, dès le premier instant, prit la fuite avec son aile gauche, le sort de la bataille n’était pas décidé. Cléarque n’ayant aucune nouvelle de Cyrus, et voyant tous les barbares prêts à fondre sur sa petite troupe, se rapproche de la rivière, la met à dos des Grecs pour ne pas être tourné, et présente une contenance si belle qu’Artaxerxès n’ose tenter de se rendre maître de cette poignée de braves, et se retire honteusement.

Tous les auteurs qui ont écrit sur la bataille de Cunaxa, conviennent que l’armée de Cyrus comptait cent treize mille hommes ; cent mille étrangers, et douze mille neuf cents Grecs. Il paraît aussi que ce prince avait vingt chariots armés de faux. On n’a pas la même certitude sur le nombre des soldats qui composaient l’armée d’Artaxerxès. Xénophon le porte à douze cent mille, Ctésias, médecin du roi, témoin oculaire comme Xénophon, mais mieux instruit de ce qui se passait à la cour des Perses, ne parle que de quatre cent mille combattans.

Quoi qu’il en soit, il devient évident qu’une ligne faible d’infanterie ne peut résister aux efforts de plusieurs masses qui se succèdent ; et la facilité qu’aurait eue le roi, de partager l’armée de Cyrus dans le centre qui était sa partie faible, devait donner à ce prince de grandes inquiétudes, quand Artaxerxès n’aurait pas eu l’idée de le prendre par derrière. Cyrus le manifestait assez, lorsqu’il criait aux Grecs de donner dans le milieu où était son frère. Si Cléarque eût suivi ce conseil au lieu d’écouter la voix de la prudence, il enfonçait le centre de l’armée persane, et mettait en déroute cette multitude qui voyait l’ennemi pour la première fois. Le roi alors, au lieu de tourner la gauche de Cyrus, n’eût songé qu’a sa retraite, et le combat entre les deux princes n’aurait point été livré. « Je suppose, dit Plutarque, qu’Artaxerxès eût à choisir lui-même un endroit pour placer les Grecs en bataille, afin qu’ils lui fissent le moins de mal, il n’aurait pas pu en trouver un plus commode que celui que prit Cléarque. »

Cependant cette faute devenait réparable pour un général plus expérimenté que Cyrus. En voyant la disproportion de ses forces, comparées à celles de son frère, il aurait dû refuser sa gauche aux Persans, et ne faire avancer que sa droite où étaient les Grecs. Par cette manœuvre, après que la gauche des ennemis fut mise en déroute, les Grecs auraient tourné sur le centre d’Artaxerxès, et la multitude de ses soldats lui serait devenue aussi inutile qu’elle le fut aux Spartiates, à Leuctres, et aux Éléens, à Mantinée, lorsqu’Épaminondas, comme nous allons le voir, les battit dans un ordre semblable.




CHAPITRE VIII.


Bataille de Leuctres. — Deuxième bataille de Mantinée.


La retraite glorieuse des dix mille ranima l’ardeur des combats parmi les Grecs. Jusqu’alors les Spartiates n’avaient point eu de rivaux dans l’art de la guerre ; mais ils furent bientôt surpassés par les Thébains. Devenue puissante sous Pélopidas et sous Épaminondas, Thèbes avait excité la jalousie des autres villes ; elle fut obligée de se défendre contre elles.

Épaminondas leva le plus de troupes qu’il lui fut possible et se mit en marche. Son armée ne montait pas à plus de six mille Thébains, pesamment armés, quinze