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cents armés à la légère, et cinq cents chevaux. L’ennemi, sous la conduite de Cléombrote, s’avançait quatre fois plus nombreux. Épaminondas avait eu la sage précaution de se rendre maître d’un passage qui aurait beaucoup abrégé la marche de Cléombrote ; aussi ce général n’arriva-t-il, qu’après un long détour, à Leuctres, petite ville de la Béotie, entre Thespies et Platée.

Les Lacédémoniens avaient formé leur ligne d’infanterie sur douze de hauteur[1] ; Épaminondas porta jusqu’à cinquante la hauteur des files de son aile gauche. Ce mouvement, qui rétrécissait beaucoup le front de l’armée thébaine si peu nombreuse, changeait déjà la manière de combattre dans les armées grecques qui portaient une attention extrême à ne se point laisser déborder.

Arrivé sa pied des montagnes de Leuctres (372 av. not. ère), Épaminondas fit mettre bas les armes comme s’il eût voulu camper. L’armée lacédémonienne qui avait été incertaine si elle livrerait bataille, profita de ce délai, et les officiers laissèrent les soldats s’écarter de leurs rangs. Mais, tout-à-coup, remettant en ligne l’armée qui était en colonne, et renforçant son flanc gauche du bataillon sacré commandé par Pélopidas, le général thébain fit prendre les armes et marcher à l’ennemi.

Cléombrote avait placé sa cavalerie devant son infanterie : ainsi surpris par les Thébains, il n’eut pas le temps de la retirer, et cette cavalerie, mise en déroute et vivement poursuivie, se jeta sur les phalanges et compléta le désordre où elles se trouvaient déjà par l’attaque imprévue d’Épaminondas.

Ce général sut profiter habilement de ce moment décisif, et sur le champ, avec la plus grande vitesse, faisant parcourir à sa gauche l’espace qui séparait les deux armées, elle vint frapper la droite de Cléombrote. Les Lacédémoniens tentèrent de se former en croissant pour envelopper l’ennemi ; mais pris eux-mêmes en flanc par les trois cents de Pélopidas ; écrasés sous le poids des cinquante hommes de profondeur qui formaient la colonne d’attaque ; l’aile droite de Cléombrote, qui n’offrait qu’une hauteur de douze, fut bientôt rompue.

« La droite des Thébains, dit Plutarque, dressée d’une façon nouvelle et non auparavant pratiquée d’un autre capitaine, ayant ordre de ne pas attendre le choc des Lacédémoniens, avait reculé lorsqu’ils s’avancèrent. » C’est qu’instruit de habitude où l’on était de se former en croissant pour envelopper un ennemi inférieur en force, Épaminondas avait pris la résolution de refuser sa droite, pour attaquer celle de l’ennemi avec un grand avantage, en renforçant son aile gauche et la formant en colonnes profondes. Cette manœuvre savante, qui ne pouvait s’exécuter que par l’ordre oblique, n’avait pas encore été employée avant Épaminondas.

Les Lacédémoniens n’éprouvèrent jamais un échec aussi terrible. Jusqu’alors ils n’avaient perdu que quatre ou cinq cents citoyens dans les désastres les plus sanglans ; ils laissèrent à ce combat quatre mille hommes, dont mille des leurs. De sept cents Spartiates, quatre cents restèrent morts sur le champ de bataille. L’armée d’Épaminondas n’eut à regretter que quatre cents hommes, au nombre desquels il y avait seulement quatre citoyens de Thèbes. Ce succès enorgueillit tellement cette nation, que le philosophe Antistène disait : « Je crois voir des écoliers tout fiers d’avoir battu leur maître. » Ils pouvaient l’être en effet, quoique les Lacédémoniens

  1. Voyez l’ATLAS.