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cavalerie thessalienne approcha celle des Lacédémoniens, rangée comme nous l’avons dit sur un ordre très profond. Au moyen des troupes qui la soutenaient, la cavalerie thessalienne l’enveloppa et la mit en déroute.

On se battit des deux côtés avec une ardeur incroyable ; mais la victoire ne pouvait être long-temps indécise. Les Spartiates plièrent, et les Thébains, après avoir rompu le centre, prirent les deux ailes à revers et culbutèrent toute l’armée, comme l’avait prévu Épaminondas. On sait que ce fut au moment de son triomphe que ce grand homme fut frappé d’un javelot dont le fer lui resta dans la poitrine, et qu’il mourut deux heures après, léguant à la postérité ses deux filles immortelles, Leuctres et Mantinée.

Avec Épaminondas s’évanouit la gloire des Thébains. Aucun général avant lui n’avait développé des connaissances militaires aussi profondes. L’admiration redouble quand on songe que ses troupes exécutaient les manœuvres les plus compliquées avec une précision que devait bien difficilement permettre l’ordonnance en phalange telle qu’elle existait alors. Il lui fallut peut-être changer toutes les dispositions connues jusqu’à lui. Sa cavalerie s’avançant sur un front très étroit et se déployant ensuite pour laisser manœuvrer les troupes légères qu’elle cachait pour ainsi dire ; sa colonne d’infanterie qui en marchant se double par section de droite et de gauche, et qui, garantie par les sages dispositions de sa cavalerie, arrive au centre de l’ennemi sans que celui-ci, étonné d’une manœuvre qu’il ne comprend pas, ait pu évaluer les forces qui vont l’écraser, ni prendre les précautions pour s’en défendre, sont des mouvemens de grande tactique qui étonnent encore aujourd’hui les personnes les plus versées dans la science si difficile des combats.

Cependant un écrivain justement estimé par les lumières qu’il a souvent portées sur les questions les plus difficiles de l’art militaire, Guibert, n’a pas craint d’avancer dans un avant-propos célèbre qu’un bon major de son temps conduirait les manœuvres de Leuctres et de Mantinée aussi bien qu’Épaminondas. Guibert, si grand admirateur de Frédéric II, n’ignorait pas que les plus beaux succès de ce prince sont dus à l’emploi qu’il sut faire de l’ordre oblique imaginé par le capitaine Thébain ; et l’on peut voir dans le Traité des grandes opérations du général Jomini, que la bataille de Lissa entre autres fut donnée sur les principes développés dans ces deux journées célèbres. Aussi le général Lamarque ne craint-il pas de dire qu’Épaminondas eût conduit la manœuvre de Lissa avec autant de succès que Frédéric.

Dans cette bataille, Frédéric II sut habilement profiter d’une lisière de hauteurs qui couvrait une partie de son armée, et lui permettait d’affaiblir sa gauche et son centre sans que l’ennemi s’aperçût du mouvement. Toutefois, il commença par menacer la droite des Autrichiens qui était leur partie faible, jusqu’à ce qu’ils s’y renforçassent de leurs meilleures troupes, aux dépens de leur gauche qu’ils regardaient comme assez fortifiée par la nature du terrain. Frédéric avait à peine trente-cinq mille hommes contre soixante mille. L’élite de ses colonnes fila vers sa droite, tandis qu’à l’aile de l’illusion produite par les hauteurs, il tenait en échec la droite et le centre des Autrichiens. L’aile gauche du prince Charles fut prise à revers et culbutée en moins d’une demi-heure.

« Il n’y a guère de figures de géométrie, dit Lloyd, que les tacticiens n’aient introduites dans les ordres de bataille ; mais de tout temps, les troupes ont été formées préférablement en carrés ou en parallélogrammes ; ce sont les