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XÉNOPHON, LIV. I.

ment, et lui dit de se retirer et de ne plus s’opposer à sa vengeance. Alors Cyrus étant arrivé, et ayant appris ce qui se passait, prit ses armes en main, vint à toute bride avec ceux de ses confidens qui se trouvèrent près de lui au milieu des Grecs prêts à se charger, et parla ainsi : « Cléarque, Proxène, Grecs qui êtes présens, vous ignorez ce que vous faites. Si vous vous combattez les uns les autres, songez que dès ce jour il me faut périr, et que vous périrez vous-mêmes peu après moi ; car dès que nos affaires tourneront mal, tous ces Barbares que vous voyez à ma suite seront plus nos ennemis que ceux qui sont dans l’armée du roi. » Cléarque ayant entendu ce discours rentra en lui-même. Les deux partis cessèrent de se menacer et allèrent poser leurs armes à leur place.

L’armée s’avançant, on trouva des pas de chevaux, du crotin, et on jugea qu’il avait passé là environ deux mille cavaliers. Ce détachement brûlait, en avant de l’armée de Cyrus, les fourrages et tout ce qui aurait pu lui être utile. Orontas, Perse du sang royal, qui passait pour un des meilleurs guerriers de sa nation, et qui avait déjà porté les armes contre Cyrus, forma le dessein de le trahir. Il s’était réconcilié avec ce prince, et lui dit que s’il voulait lui donner mille chevaux, il se faisait fort de surprendre et de passer au fil de l’épée le détachement qui brûlait et ravageait d’avance le pays, ou de ramener beaucoup de prisonniers, d’empêcher les incendies et de faire en sorte que l’ennemi ne pût rapporter au roi ce qu’il aurait vu de l’armée de Cyrus. Ce prince ayant écouté ce conseil, le regarde comme utile, et dit à Orontas de prendre des piquets de tous les corps.

Orontas croyant son détachement prêt à marcher, écrit une lettre au roi, lui mande qu’il amènera le plus qu’il pourra de la cavalerie de Cyrus, et le prie de prévenir la sienne de le recevoir comme ami. La lettre rappelait aussi au roi l’ancien attachement et la fidélité d’Orontas. Il en chargea un homme qu’il croyait fidèle et qui ne l’eut pas plus tôt reçue, qu’il l’alla montrer à Cyrus. Le prince l’ayant lue, fit arrêter Orontas et assembla dans sa tente sept des Perses les plus distingués de sa suite. Il ordonna aussi aux généraux grecs d’amener de leurs soldats, qui se rangeassent autour de sa tente, et y posassent leurs armes à terre. Les généraux s’y rendirent avec environ trois mille hoplites. Cyrus appela au conseil de guerre Cléarque, qui lui paraissait, ainsi qu’aux autres, être le chef des Grecs qui jouissait de la plus grande considération. Cléarque, lorsqu’il en sortit, raconta à ses amis comment s’était passé le jugement d’Orontas (car on n’avait point enjoint le secret), et rapporta ainsi le discours par lequel Cyrus avait ouvert l’assemblée.

« Je vous ai appelés près de moi, mes amis, pour délibérer avec vous sur ce que je dois faire et pour traiter, de la manière la plus juste devant les Dieux et devant les hommes, Orontas que vous voyez. Il m’a été d’abord donné par mon père pour être soumis à mes ordres. Ensuite mon frère le lui ayant, à ce qu’il prétendait, ordonné, il prit les armes contre moi en défendant la citadelle de Sardes. Je lui fis la guerre de mon côté de façon à lui faire désirer la fin des hostilités. Je reçus sa main en signe de réconciliation et lui donnai la mienne. Depuis ce temps, poursuivit-il, répondez-moi, Orontas, avez-vous éprouvé de moi quelque injustice ? » Orontas répondit que non. Cyrus l’interrogea de nouveau. « N’ayant point à vous plaindre de moi,