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XÉNOPHON, LIV. I.

comme vous en convenez vous-même, ne vous êtes-vous pas révolté depuis et lié avec les Mysiens ? Ne ravagiez-vous pas autant que vous le pouviez mon gouvernement ? » Orontas l’avoua. « Lorsque vous eûtes reconnu votre impuissance, reprit Cyrus, ne vîntes-vous pas à l’autel de Diane ? Ne m’assurâtes-vous pas de votre repenti ? Ne me laissai-je pas persuader à vos discours ? Ne me donnâtes-vous pas de rechef votre foi ? Ne reçûtes-vous pas la mienne ? » Orontas convint encore de ces faits. « On a découvert, poursuivit Cyrus, que vous me tendiez, pour la troisième fois, des embûches. Quelle injure vous ai-je faite ? » Orontas dit qu’il n’en avait reçu aucune. « Vous convenez donc, ajouta Cyrus, que c’est vous qui êtes injuste envers moi ? » Il le faut bien, dit Orontas. Cyrus lui demanda ensuite : « Pourriez-vous encore, devenant l’ennemi de mon frère, me rester désormais fidèle ? » Orontas répondit : « Quand je le serais, Cyrus, je ne passerais jamais dans votre esprit pour l’être. »

Cyrus s’adressa alors à ceux qui étaient présens : « Vous savez, leur dit-il, ce que cet homme a fait. Vous entendez ce qu’il dit. Parlez le premier, Cléarque, et donnez votre avis. — Mon avis, dit Cléarque, est de nous défaire au plus tôt de lui ; il ne faudra plus veiller sur ses démarches, et délivrés de ce soin, nous aurons le loisir de nous occuper de ceux qui veulent être de nos amis et de leur faire du bien. » Cléarque ajoutait que les autres juges s’étaient rangés à son opinion. Par l’ordre de Cyrus, tous les assistans et les parens même d’Orontas se levèrent et le prirent par la ceinture pour désigner qu’il était condamné à mort. Il fut ensuite entraîné hors de la tente par ceux qui en avaient l’ordre. En le voyant passer, ceux qui se prosternaient précédemment devant lui, se prosternèrent encore, quoiqu’ils sussent qu’on le menait au supplice. On le conduisit dans la tente d’Artapate, le plus affidé des chambellans de Cyrus, et personne depuis ne le revit ni ne fut en état d’affirmer de quel genre de mort il avait péri. Chacun fit des conjectures différentes. Il ne parut même en aucun endroit des vestiges de sa sépulture.

De là on fit en trois marches douze parasanges en Babylonie. Au dernier de ces camps, Cyrus fit, vers le milieu de la nuit, dans la plaine, la revue des Grecs et des Barbares ; car il présumait que le lendemain à la pointe du jour le roi viendrait avec son armée lui présenter la bataille. Il chargea Cléarque de conduire l’aile droite des Grecs et Menon le Thessalien de commander leur gauche. Lui-même rangea en bataille ses troupes nationales. Après la revue, dès la pointe du jour, des transfuges qui venaient de l’armée du roi en donnèrent à Cyrus des nouvelles. Ce prince ayant appelé les généraux grecs et les chefs de lochos, tint conseil avec eux sur la manière de livrer bataille, et leur prononça ce discours pour les exhorter et les enhardir. « Si je mène avec moi des Grecs comme auxiliaires, ce n’est pas que je manque de troupes barbares. Mais j’ai compté sur votre courage. J’ai estimé que vous valiez mieux dans une armée qu’une foule de ces esclaves. Voilà pourquoi je vous ai associés à mon entreprise. Conduisez-vous donc comme des hommes libres, montrez-vous dignes de ce bien précieux que vous possédez et dont je vous félicite ; car ne doutez pas que je ne préférasse la liberté à tous les avantages dont je jouis et à beaucoup d’autres encore. Pour que vous n’ignoriez pas à quel combat vous marchez, je vais