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XÉNOPHON, LIV. I.

qu’il n’y a eu personne ou parmi les Grecs ou parmi les Barbares qui ait été plus aimé. En voici encore une preuve. Quoique Cyrus ne fût que le premier esclave du roi, personne ne le voulut quitter pour ce monarque. Orontas seul l’essaya, et ce Perse même éprouva bientôt que l’homme en qui il avait confiance était plus attaché à Cyrus qu’à lui. Mais lorsque la guerre fut déclarée entre les deux frères, beaucoup de sujets d’Artaxerxès, et même des favoris que le roi aimait le plus, l’abandonnèrent pour aller trouver Cyrus. Ils jugeaient qu’en se conduisant avec valeur ils obtiendraient à la cour de ce prince des honneurs plus dignes d’eux qu’à celle d’Artaxerxès. La mort de Cyrus fournit encore une grande preuve et qu’il était personnellement bon, et qu’il savait distinguer sûrement les hommes fidèles, affectionnés et constans ; car lorsqu’il tomba, tous ses amis, ses commensaux, qui combattaient à ses côtés, se firent tuer en voulant le venger. Ariée seul lui survécut, parce qu’il commandait alors la cavalerie de l’aile gauche. Dès qu’il sut la mort du prince, il prit la fuite, et emmena les troupes qui étaient à ses ordres.

On coupa, sur le champ de bataille même, la tête et la main droite de Cyrus. Le roi avec ses troupes, poursuivant les fuyards, entre dans le camp de son frère. Les Barbares, que conduisait Ariée, ne s’arrêtent pas dans leur fuite, mais traversent leur camp et se réfugient dans celui d’où l’on était parti le matin, qui était éloigné, disait-on, du champ de bataille de quatre parasanges. Le roi et ses troupes mettent tout au pillage, et prennent la Phocéenne, concubine de Cyrus, dont on vantait beaucoup les talens et la beauté. Une plus jeune, qui était de Milet, arrêtée par les soldats du roi, s’enfuit nue vers les Grecs qui étaient de garde aux équipages. Ceux-ci se formèrent, tuèrent bon nombre de ces pillards, et perdirent aussi quelques hommes. Mais ils ne quittèrent point leur poste, et sauvèrent non seulement cette femme, mais tout ce qui se trouva derrière eux, hommes et effets. Le roi et les Grecs étaient alors environ à trente stades les uns des autres. Les Grecs poursuivaient ce qui était en avant d’eux, comme s’ils eussent tout vaincu. Les Perses pillaient le camp de Cyrus, comme si toute leur armée eût eu l’avantage. Mais les Grecs apprenant que le roi tombait sur leurs bagages, et Tissapherne ayant dit à ce prince que les Grecs avaient repoussé l’aile qui leur était opposée et s’avançaient à la poursuite des fuyards, Artaxerxès rallie et reforme ses troupes. D’un autre côté, Cléarque appelle Proxène, celui des généraux grecs qui se trouvait le plus près de lui et ils délibèrent s’ils enverront un détachement pour sauver les équipages ou s’ils y marcheront tous en force.

Alors ils virent que le roi, qui était sur leurs derrières, s’avançait vers eux. Les Grecs firent volte-face, et se préparèrent le recevoir, s’il tentait de les attaquer de ce côté-là ; mais le roi prit une autre direction, et ramena son armée par le chemin qu’elle avait suivi en venant, lorsqu’il avait tourné l’aile gauche de Cyrus. Il s’était joint à ses troupes, et les déserteurs qui avaient passé aux Grecs pendant la bataille, et ce qui suivait Tissapherne, et Tissapherne lui-même ; car ce satrape n’avait pas pris la fuite à la première mêlée. Il avait percé au contraire près du fleuve, où étaient les Grecs armés à la légère. Il n’en tua à la vérité aucun, en traversant leur ligne, parce que les Grecs s’ouvrant, frappaient et dardaient la cavalerie qui passait. Ils étaient commandés par Épisthène d’Amphipolis, qui avait la réputa-