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XÉNOPHON, LIV. II.

états ? Maintenant il nous engage à séjourner ici, parce que ses troupes sont dispersées. Dès qu’il les aura rassemblées, il ne manquera pas de tomber sur nous. Peut-être creuse-t-il des fossés, élève-t-il des murs pour rendre notre retour impossible. Il ne consentira jamais que, revenus en Grèce, nous racontions qu’avec aussi peu de troupes, ayant défait les siennes à la porte de sa capitale, nous nous sommes retirés en le narguant. »

Cléarque répondit à ceux qui lui parlaient ainsi : « Toutes ces pensées se sont présentées à mon esprit comme au vôtre. Mais je réfléchis que si nous partons maintenant, nous aurons l’air de nous retirer en guerre, et de transgresser le traité. De-là, nous ne trouverions nulle part ni à acheter ni à prendre des vivres. De plus, personne ne voudra nous servir de guide : dès que nous aurons pris ce parti, Ariée nous abandonnera, il ne nous restera plus un seul ami, et ceux mêmes qui l’étaient auparavant deviendront nos ennemis. J’ignore si nous avons d’autres fleuves à passer ; mais nous savons que l’Euphrate seul nous arrêtera, et qu’il est impossible de le traverser quand des ennemis nous en disputeront le passage. S’il faut combattre, nous n’avons point de cavalerie. Les Perses en ont beaucoup et d’excellente, en sorte que l’ennemi, s’il est repoussé ne perdra rien, et que s’il nous bat, il n’est pas possible qu’il lui échappe un seul de nous. Je ne conçois pas d’ailleurs ce qui aurait pu obliger le roi, qui à tant de moyens de nous exterminer, s’il veut le faire, à jurer la paix, à nous tendre la main en signe d’alliance, à prendre les dieux à témoin de ses sermens, uniquement pour se parjurer, et rendre désormais sa foi suspecte aux Grecs et aux Barbares. » Cléarque tint beaucoup de semblables discours.

Sur ces entrefaites, Tissapherne arriva avec ses troupes, et comme ayant dessein de retourner dans son gouvernement. Orontas l’accompagnait et avait aussi son armée. Ce dernier emmenait la fille du roi qu’il avait épousée. De-là on partit sous la conduite de Tissapherne qui faisait trouver des vivres à acheter. Ariée, avec l’armée barbare de Cyrus, accompagnait Tissapherne et Orontas, et campait avec eux. Les Grecs se défiant de ces Barbares, prenaient des guides et marchaient séparément. On campait séparément aussi, à une parasange au plus les uns des autres. On se tenait de part et d’autre sur ses gardes, comme si l’on eût été en guerre, et ces précautions engendrèrent aussitôt des soupçons. Quelquefois les Grecs et les Barbares se rencontraient en allant au fourrage ou au bois et se frappaient, ce qui fit naître une haine réciproque. On arriva en trois marches au mur de la Médie et on le passa. Il est construit de briques cuites au feu et liées par un ciment d’asphalte. Sa largeur est de vingt pieds, sa hauteur de cent. On disait qu’il était long de vingt parasanges. Babylone n’en était pas éloignée.

De-là on fit en deux marches huit parasanges. On traversa deux canaux, l’un sur un pont à demeure, l’autre sur un pont soutenu par sept bateaux. Ces canaux recevaient leurs eaux du Tigre. On avait tiré de ces canaux des fossés qui coupaient le pays. Les premiers étaient larges. Ils se subdivisaient en d’autres moindres, et finissaient en petites rigoles telles qu’on en pratique en Grèce pour arroser les champs de panis. On arriva enfin sur les bords du Tigre. À quinze stades de ce fleuve était une ville grande et peuplée, nommée Sitace. Les Grecs campèrent tout auprès et à