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XÉNOPHON, LIV. II.

peu de distance d’un parc beau, vaste et planté d’arbres de toutes espèces.

Les Barbares avaient passé le Tigre et ne paraissaient plus. Proxène et Xénophon se promenaient par hasard après souper à la tête du camp en avant des armes. Arrive un homme qui demande aux gardes avancées où il trouvera Proxène ou Cléarque. Il ne demandait point Menon, quoiqu’il vînt de la part d’Ariée, hôte de ce Grec. Proxène ayant répondu qu’il était un de ceux qu’il cherchait, cet homme lui dit : « Ariée et Artaèze, ci-devant attachés à Cyrus, et qui vous veulent toujours du bien, m’ont envoyé vers vous. Ils vous recommandent de vous tenir sur vos gardes, de peur que les Barbares ne vous attaquent cette nuit ; car il y a beaucoup de troupes dans le parc voisin. Ils vous conseillent aussi d’envoyer une garde au pont du Tigre, que Tissapherne a résolu de replier dans la nuit, s’il lui est possible, pour empêcher que vous ne passiez le Tigre, et pour vous tenir enfermés entre le fleuve et le canal. » Proxène et Xénophon entendant ce rapport, mènent l’homme à Cléarque et lui rendent compte de ce qu’il a dit. Cléarque fut troublé et même très effrayé de ce récit. Parmi les Grecs qui étaient là, un jeune homme ayant réfléchi, dit qu’il ne serait pas conséquent aux ennemis d’attaquer et de rompre le pont. « S’ils attaquent, il est évident qu’il faut qu’ils nous battent ou qu’ils soient battus. Supposons qu’ils doivent remporter la victoire, qu’ont-ils besoin de replier le pont ? Quand il y en aurait plusieurs autres, où nous réfugierions-nous après une défaite ? Que si l’avantage est à nous, le pont rompu, les Barbares n’ont plus de retraite, et les forces nombreuses qui sont sur l’autre rive ne pourraient leur donner le moindre secours. »

Cléarque demanda ensuite à l’homme qu’on lui avait amené, quelle était l’étendue du pays contenu entre le Tigre et le canal. On apprit, par sa réponse, que ce pays était vaste, qu’il y avait des villages et beaucoup de grandes villes. On reconnut alors que les Barbares avaient insidieusement envoyé cet émissaire, parce qu’ils craignaient que les Grecs, qui avaient passé le pont du canal, ne se fixassent dans cette espèce d’île, où ils auraient eu pour rempart d’un côté le Tigre, de l’autre le canal ; qu’ils ne tirassent des vivres de la contrée même qui était vaste, féconde et peuplée de cultivateurs, et qu’il ne s’y formât un asile sûr pour quiconque voudrait insulter le roi. On prit ensuite du repos. On envoya cependant une garde au pont du Tigre. On ne fut attaqué d’aucun côté. La garde même du pont assura depuis qu’il n’y était venu aucun Barbare. Dès le point du jour, l’armée grecque passa avec le plus de précautions qu’elle put ce pont soutenu par trente-sept bateaux ; car quelques-uns des Grecs qui étaient près de Tissapherne avaient prévenu qu’on serait attaqué au passage. Mais tous ces avis se trouvèrent dénués de fondement. Glus seulement et quelques autres Barbares parurent pendant qu’on traversait le fleuve. Ils observèrent si les Grecs passaient, et l’ayant vu, ils s’éloignèrent au galop.

Des bords du Tigre, on fit, en quatre jours de marche, vingt parasanges. On arriva au fleuve Physcus, large d’un plèthre. Un pont le traversait. En cet endroit était aussi une grande ville nommée Opis, près de laquelle les Grecs rencontrèrent un frère bâtard de Cyrus et d’Artaxerxès, et une armée nombreuse qu’il amenait de Suse et d’Ecbatane pour secourir le roi. Il fit faire halte à ses troupes et regarda passer les