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XÉNOPHON, LIV. III.

laissait apercevoir que personne n’avait plus que lui le pouvoir et la volonté de nuire. Était-il abandonné de quelqu’un, il croyait l’avoir bien traité, de ne l’avoir pas perdu pendant qu’il s’en était servi. On pourrait mentir sur son compte si l’on entrait dans des détails peu connus ; mais je n’en rapporterai que ce qui est su de tout le monde. Étant dans la fleur de la jeunesse, il obtint d’Aristippe le commandement des troupes étrangères de son armée ; il passa le reste de sa jeunesse dans la plus grande faveur auprès d’Ariée, barbare qui aimait les jeunes gens d’une jolie figure. Lui-même, dans un âge tendre, conçut une passion violente pour Tharypas, plus âgé que lui. Quand les généraux grecs furent mis à mort pour avoir fait avec Cyrus la guerre au roi, Menon, à qui l’on avait le même reproche à faire, ne subit pas le même sort. Il fut cependant ensuite condamné par le roi au supplice ; non pas à avoir, comme Cléarque et les autres généraux, la tête tranchée, ce qui passait pour le genre de mort le plus noble ; mais on dit qu’il périt, après avoir souffert pendant un an les tourmens auxquels on condamne les scélérats.

Agias d’Arcadie et Socrate d’Achaïe furent mis à mort aussi. Ils n’eurent jamais à essuyer de railleries sur leur conduite à la guerre, ni de reproches sur leurs procédés envers leurs amis. Tous deux étaient âgés d’environ quarante ans.




LIVRE TROISIÈME.

J’ai rendu compte, dans les livres précédens, de la marche des Grecs et de Cyrus vers la haute Asie ; de ce qui s’y était passé jusqu’à la bataille ; des événemens qui suivirent la mort de ce prince ; du traité conclu entre les Grecs et Tissapherne, et du commencement de leur retraite avec ce satrape. Quand on eut arrêté leurs généraux et mis à mort tout ce qui les avait suivis de chefs et de soldats, les Grecs se trouvèrent dans un grand embarras. Ils songèrent qu’ils étaient au centre de l’empire d’Artaxerxès, entourés de tous côtés de beaucoup de villes et de nations leurs ennemies. Personne ne devait plus fournir un marché garni de vivres. Ils se trouvaient à plus de dix mille stades de la Grèce, n’avaient plus de guide, et la route qui les eut ramenés dans leur patrie, leur était barrée par des fleuves qu’ils ne pouvaient traverser. Les Barbares que Cyrus avait conduits dans la haute Asie les avaient trahis : seuls et abandonnés, ils n’avaient pas un homme de cavalerie. Il était évident que désormais vainqueurs, ils ne tueraient pas un fuyard ; vaincus, ils perdraient jusqu’au dernier soldat. Ces réflexions et leur découragement furent cause que peu d’entre eux purent manger ce soir-là. Peu allumèrent des feux, et il n’y en eut pas beaucoup qui dans la nuit vinssent jusqu’aux armes : chacun se reposa où il se trouva ; aucun ne goûta les douceurs du sommeil. Tourmentés par leurs chagrins, ils regrettaient leur patrie, leurs parens, leurs femmes, leurs enfans, qu’ils n’espéraient plus revoir, et affectés de ces idées, tous restaient dans un morne repos.

Il y avait dans l’armée un Athénien nommé Xénophon. Il ne l’avait suivie ni comme général, ni comme chef de lochos, ni comme soldat. Proxène, qui était un des anciens hôtes de sa famille, l’avait tiré de la maison paternelle, en lui promettant, s’il venait, de le mettre bien avec Cyrus, « de l’amitié duquel, disait ce général, je crois avoir plus à espérer que de ma patrie. » Xénophon

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