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XÉNOPHON, LIV. III.

ayant lu la lettre de Proxène, consulta sur son départ Socrate l’Athénien. Socrate, craignant que Xénophon ne se rendît suspect aux Athéniens, en se liant avec Cyrus qui avait paru aider de toute sa puissance les Lacédémoniens dans leur guerre contre Athènes ; Socrate, dis-je, lui conseilla d’aller à Delphes et d’y consulter sur son dessein le Dieu qui rend des oracles. Xénophon y étant allé, demanda à Apollon à quel Dieu il devait offrir des sacrifices et faire des vœux, afin que le voyage qu’il projetait tournât le plus avantageusement pour lui, et qu’il revînt sain et sauf, après un heureux succès. La réponse d’Apollon lui désigna à quels Dieux il convenait de faire des sacrifices. Xénophon, de retour à Athènes, apprend à Socrate l’oracle qui lui a été rendu. Ce philosophe l’ayant entendu, reproche à son disciple de n’avoir pas demandé d’abord lequel valait mieux pour lui de partir ou de rester ; mais de s’être déterminé lui-même à partir, et de n’avoir consulté l’oracle que sur les moyens les plus propres à rendre son voyage heureux. « Cependant, puisque vous vous êtes borné à cette question, ajouta Socrate, il faut faire ce que le Dieu a prescrit. » Ainsi Xénophon ayant sacrifié aux Dieux indiqués par Apollon, mit à la voile. Il rejoignit à Sardes Proxène et Cyrus prêts à marcher vers la haute Asie. On le présenta à Cyrus. D’après le désir de Proxène, ce prince témoigna aussi qu’il souhaitait que Xénophon restât à son armée, et lui dit que dès que l’expédition serait finie il le renverrait. On prétendait que l’armement se faisait contre les Pisidiens.

Xénophon commença la campagne, ayant été ainsi trompé sur l’objet de l’entreprise, mais n’étant pas joué par Proxène ; car ni ce général, ni aucun autre des Grecs, si ce n’est Cléarque, ne se doutaient qu’on marchât contre le roi. Lorsqu’on fut arrivé en Cilicie, il parut évident que c’était contre Artaxerxès que se faisait cette expédition. La plupart des Grecs, effrayés de la longueur de la route, ne suivirent que contre leur gré Cyrus. La honte de reculer aux yeux de leurs camarades et du prince les retint à son armée. Xénophon fut de ce nombre. Dans l’extrémité où l’on était réduit pour lors, il s’affligeait comme les autres, et ne pouvait dormir. Le sommeil cependant ayant un instant fermé sa paupière, il eut un songe. Il lui sembla entendre gronder le tonnerre, et voir tomber sur la maison de son père la foudre, qui la mit toute en feu. Il s’éveilla aussitôt saisi de terreur. D’une part, il jugea que ce songe ne lui présageait rien que d’heureux ; car au milieu des fatigues et des dangers, il lui avait apparu une grande lumière venant du ciel ; d’autre part, il craignit qu’il ne pût sortir de l’empire du roi, et que de tous côtés il n’y fût retenu par des obstacles, jugeant que ce songe venait de Jupiter roi, et s’étant vu de toutes parts environné de flammes.

Par les événemens qui suivirent ce songe, on pourra reconnaître de quelle nature il était ; car voici ce qui arrive aussitôt : Xénophon s’éveille, et telles sont les premières idées qui le frappent : « Pourquoi suis-je couché ? La nuit s’avance. Avec le jour nous aurons probablement l’ennemi sur les bras ; si nous tombons au pouvoir du roi, qui l’empêchera, après que nous aurons été témoins du plus affreux spectacle, après qu’il nous aura fait souffrir toutes les horreurs des supplices, de nous condamner à la mort la plus ignominieuse ? Personne ne se prépare, personne ne songe même à prendre les moyens de repousser l’ennemi. Nous restons tous couchés