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XÉNOPHON, LIV. III.

dre : comment les craindriez-vous encore ? Ne regardez pas non plus comme un désavantage que l’armée barbare de Cyrus, qui a ci-devant combattu en ligne avec nous, nous ait abandonnés. Ces troupes sont encore plus lâches que celles que nous avons battues ; elles nous ont donc quittés, et se sont réfugiées près de celles de Tissapherne : ne vaut-il pas beaucoup mieux voir dans la ligne de l’ennemi que dans la nôtre des gens qui veulent toujours être les premiers à fuir ? Que si quelqu’un de vous est consterné de ce que nous n’avons point de cavalerie, tandis que l’ennemi nous en oppose une nombreuse, songez que dix mille cavaliers ne sont que dix mille hommes ; car personne n’a jamais été tué, dans une affaire, d’une morsure ou d’un coup de pied de cheval. Ce sont les hommes qui font le sort des batailles. Nous sommes portés plus solidement que le cavalier ; obligé de se tenir sur le dos de son cheval dans un exact équilibre, il n’est pas seulement effrayé de nos coups, et la crainte de tomber l’inquiète encore. Nous autres, appuyés sur un sol ferme, nous frappons plus fortement si quelqu’un nous approche, et nous atteignons le but où nous visons, avec plus de certitude. Les cavaliers n’ont sur nous qu’un avantage, c’est de se mettre plus tôt en sûreté par la fuite. Mais peut-être, incapables de vous effrayer des combats qu’il faudra livrer, vous affligez-vous seulement de ce que Tissapherne ne nous conduira plus, de ce que le roi ne nous fera plus trouver un marché et des vivres. Considérez lequel vaut mieux d’avoir pour guide un satrape qui machine évidemment notre perte, ou de faire conduire l’armée par des hommes qu’on aura pris dans le pays, à qui on donnera des ordres, et qui sauront que leur tête répond des fautes qu’ils pourraient commettre contre nous. Quant aux vivres, serait-il plus avantageux d’en payer fort cher une petite mesure au marché que nous feraient trouver les Barbares, surtout devant être bientôt réduits à n’avoir plus de quoi en acheter, qu’il ne le sera de prendre en vainqueurs, si nous avons des succès, notre subsistance, à la mesure que chacun de nous voudra ? Peut-être reconnaissez-vous que tout ce que je viens de vous faire envisager est préférable ; mais craignez-vous de ne pouvoir traverser les fleuves, et vous plaignez-vous d’avoir été cruellement trompés par les Barbares, qui en ont mis de nouveaux entre la Grèce et vous ? Songez que c’est la plus grande folie qu’ait pu faire votre ennemi ; car, tous les fleuves, quoique l’on ne puisse pas les passer loin de leurs sources, si l’on remonte, deviennent enfin guéables, et l’on n’y trouve pas de l’eau jusqu’au genou. Mais, quand même le passage en serait impraticable, quand nous manquerions de guides, il ne faudrait pas pour cela se désespérer. Nous connaissons les Mysiens, que je ne regarde pas comme de meilleures troupes que nous, qui, dans l’empire du roi, habitent malgré lui beaucoup de villes grandes et florissantes. Nous savons que les Pisidiens en font autant ; nous avons vu nous-mêmes les Lycaoniens occuper des lieux fortifiés au milieu de vastes plaines, et recueillir les fruits que sèment pour eux les sujets d’Artaxerxès. Je vous dirais alors qu’il faut ne pas paraître vouloir retourner en Grèce, mais feindre au contraire de nous préparer à fixer quelque part ici notre séjour ; car je sais que le roi voudrait engager les Mysiens à sortir