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XÉNOPHON, LIV. III.

de ses états, fallut-il leur donner et tous les guides qu’ils désireraient pour les conduire, et tous les otages qu’ils exigeraient pour n’avoir aucun piége à craindre. Que dis-je ? il ferait aplanir les chemins pour eux, et les renverrait tous, s’ils le demandaient, dans des chars attelés de quatre chevaux. Artaxerxès, je n’en doute point, serait trop heureux d’en user ainsi avec nous, s’il voyait que nous nous préparassions à rester ici ; mais je craindrais que nous étant une fois habitués à vivre dans l’oisiveté et dans l’abondance, à goûter les plaisirs de l’amour avec les femmes et les filles des Perses et des Mèdes, qui ont toutes la taille belle et la figure charmante, je craindrais, dis-je, que, comme ceux qui mangent du lotos, nous n’oubliassions de retourner dans notre patrie. Il me paraît donc juste et convenable de tâcher d’abord de revoir la Grèce et nos familles, d’y annoncer à nos compatriotes qu’ils ne vivent dans la misère que parce qu’ils le veulent bien, de leur apprendre qu’ils pourraient mener ici ceux de leurs concitoyens qui sont dénués de fortune, et qu’ils les verraient bientôt nager dans l’opulence ; car tous ces biens, amis, sont des prix qui attendent un vainqueur. J’ai maintenant à vous exposer les moyens de marcher avec le plus de sécurité, et de combattre, s’il le faut, avec le plus de succès. D’abord, continua Xénophon, je suis d’avis de brûler les caissons qui nous suivent, afin que les voitures ne décident pas les mouvemens de l’armée, mais que nous nous portions où le bien commun l’exigera. Brûlons ensuite nos tentes, elles sont embarrassantes à porter, et ne servent de rien à des gens qui ne doivent plus songer qu’à combattre et à se fournir du nécessaire ; débarrassons-nous aussi de tout le superflu des bagages ; ne gardons que les armes et les ustensiles nécessaires à la vie : c’est le moyen d’avoir le plus de soldats dans les rangs, et le moins aux équipages, car vous savez que tout ce qui appartient aux vaincus passe en des mains étrangères, et si nous sommes vainqueurs, nous devons regarder de plus nos ennemis eux-mêmes comme des esclaves destinés à porter pour nous leurs propres dépouilles. Il me reste à traiter le point que je regarde comme le plus important. Vous voyez que les Perses n’ont osé se déclarer nos ennemis, qu’après avoir arrêté nos généraux ; ils ont cru que nous serions en état de les vaincre, tant que nous aurions des chefs et que nous leur obéirions ; mais ils ont espéré que lorsqu’ils nous les auraient enlevés, l’anarchie et l’indiscipline suffiraient pour nous perdre. Il faut donc que les nouveaux commandans soient beaucoup plus vigilans que les précédens, et que le soldat se montre beaucoup plus discipliné, et obéisse aux chefs avec une exactitude toute autre que par le passé. Si vous décidez que tout homme qui se trouvera présent aidera le commandant à châtier quiconque aura désobéi, l’espérance des Perses sera bien trompée : au lieu d’un seul Cléarque, ils en verront renaître en un jour dix mille, qui ne permettront à aucun Grec de se conduire en lâche. Mais il est temps de finir : l’ennemi va peut-être déboucher sur nous tout-à-l’heure. Ce que vous approuvez de mon discours, faites-le passer en loi au plus vite pour qu’on l’exécute. Si quelqu’un a un meilleur avis à ouvrir, qu’il parle avec hardiesse, ne fût-il qu’un simple soldat ; car il s’agit du salut commun, et tous tes Grecs y ont intérêt. »

Chirisophe parla ensuite : « S’il y a,