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XÉNOPHON, LIV. IV.

vrait un passage à la queue. Ils se portaient secours ainsi mutuellement, et dans toutes leurs manœuvres veillaient à la sûreté réciproque de leurs divisions. Quelquefois les Barbares inquiétaient à la descente les troupes qui avaient monté, car ils étaient si agiles, qu’on ne pouvait les joindre, quoiqu’ils ne prissent la fuite qu’à quelques pas des Grecs. Ils ne portaient rien que leurs arcs et leurs frondes, et ils étaient d’excellens archers ; leurs arcs étaient à-peu-près de trois coudées, et leurs flèches en avaient plus de deux ; ils les décochaient en avançant le pied gauche et tirant à eux la corde vers le bas de l’arc. Leurs flèches traversaient les boucliers et les cuirasses. Quand les Grecs en ramassaient, ils y attachaient des courroies et s’en servaient en guise de javelots. Dans tout ce pays montueux, les Crétois rendirent les plus grands services ; ils étaient commandés par Stratoclès de Crète.

Ce jour même, l’armée cantonna dans les villages qui dominent la plaine arrosée par le Centrite, fleuve large d’environ deux plèthres, et qui sépare l’Arménie du pays des Carduques. Les Grecs s’y reposèrent. Le fleuve est éloigné de six ou sept stades des montagnes des Carduques. Les vivres qu’on trouvait et le souvenir des fatigues passées rendaient ce séjour agréable aux Grecs ; car pendant les sept jours qu’ils avaient employés à traverser le pays des Carduques, ils avaient eu sans cesse les armes à la main et avaient plus souffert de maux que toute la puissance du roi et la perfidie de Tissapherne n’avaient pu leur en faire. Délivrés de leurs ennemis, ou du moins croyant l’être, ils goûtèrent avec délices les douceurs du sommeil. Quand le jour parut, ils aperçurent au-delà du Centrite de la cavalerie armée de pied en cap, qui se disposait à leur en disputer le passage, et plus haut de l’infanterie rangée en bataille pour les empêcher de pénétrer en Arménie. C’étaient des Arméniens, des Mygdoniens et des Chaldéens mercenaires à la solde d’Orontas et d’Artuque. Les Chaldéens étaient, disait-on, un peuple libre et courageux ; ils portaient pour armes de grands bouliers à la perse et des piques. Les hauteurs sur lesquelles ils s’étaient formés étaient éloignées du fleuve de trois ou quatre plèthres. On ne voyait qu’un seul chemin qui y montât, et il paraissait fait de main d’homme. Ce fut vis-à-vis de ce débouché que les Grecs tentèrent de passer ; mais ayant éprouvé qu’ils auraient de l’eau au-dessus de l’aisselle, que le courant était rapide et le fond du lit garni de grandes pierres glissantes, qu’on ne pouvait porter les armes dans l’eau, qu’en élevant leurs bras pour ne point mouiller leurs armes le courant les emporterait eux-mêmes, qu’en les mettant sur leurs têtes c’était s’exposer nus aux flèches et aux autres traits de l’ennemi ; après avoir fait, dis-je, cette épreuve, ils se retirèrent et marquèrent en cet endroit même leur camp sur les bords du fleuve.

Alors au sommet de la montagne, où l’armée grecque avait cantonné la nuit précédente, on aperçut un grand nombre de Carduques rassemblés et en armes. Les Grecs se décourageaient en considérant la difficulté de traverser le fleuve, en voyant sur la rive ultérieure des troupes s’opposer à leur passage, et derrière eux les Carduques qui ne manqueraient pas de les prendre à dos au moment où ils passeraient. On demeura donc où l’on se trouvait ce jour-là et la nuit suivante, et l’on était dans un grand embarras. Xénophon eut un songe ; il rêva que ses pieds étaient chargés de fers qui se rompirent d’eux-mêmes tout-à-coup, le laissèrent libre, et lui permirent de marcher tant qu’il lui plut. À la