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XÉNOPHON, LIV. IV.

pointe du jour il va trouver Chirisophe, lui dit qu’il a l’espoir de tirer l’armée heureusement d’affaire, et lui raconte ce qu’il a vu en songe. Chirisophe s’en réjouit, et tous les généraux qui se trouvèrent présents se hâtèrent de sacrifier en attendant le jour. Dès la première victime, les entrailles donnèrent des signes favorables : de retour du sacrifice, les généraux et les centurions firent dire à l’armée de manger. Pendant que Xénophon dînait, deux jeunes Grecs accoururent à lui ; car tout le monde savait qu’il était permis de l’aborder pendant ses repas, et de le réveiller même lorsqu’il dormait pour lui parler de ce qui concernait la guerre. Ces jeunes gens lui dirent qu’en ramassant des broussailles sèches pour faire du feu, ils avaient vu au-delà du Centrite, entre des rochers qui descendaient jusqu’à son lit, un vieillard, sa femme et de jeunes filles déposer, dans une caverne qui formait le roc, des espèces de sacs qui paraissaient contenir des habits ; qu’ils avaient cru pouvoir y passer en sûreté, parce que le sol ne permettait pas à la cavalerie ennemie d’en approcher ; qu’ils avaient dépouillé leurs vêtemens, et, n’ayant qu’un poignard nu à la main, s’étaient jetés dans le fleuve comme pour nager, mais qu’ils l’avaient traversé sans avoir de l’eau jusqu’à la ceinture ; qu’ils avaient pris les habits cachés par les Arméniens, et étaient revenus.

Aussitôt Xénophon fit lui-même des libations ; il ordonna qu’on versât du vin à ces jeunes gens pour qu’ils en fissent aussi et conjurassent les Dieux qui lui avaient envoyé le songe et fait connaître un gué, de confirmer, par des succès, de si heureux présages. Après cet acte de religion, il les mena aussitôt à Chirisophe : ils lui répétèrent le même récit. Chirisophe, quand il eut entendu leur rapport, fit à son tour des libations ; puis ayant donné ordre à toute l’armée de plier ses équipages, on assembla les autres généraux, et l’on délibéra sur les meilleures dispositions à faire pour passer le fleuve sans perte, repousser les ennemis qui étaient sur l’autre rive, et n’être point entamés par ceux qu’on laissait derrière soi. On décida que Chirisophe marcherait à la tête, et traverserait le Centrite, suivi de la moitié de l’armée ; que Xénophon resterait en-deçà avec l’autre moitié ; et que les équipages et les esclaves passeraient le gué entre ces deux corps. Après avoir bien arrêté ce projet, on se mit en marche. Les jeunes gens servaient de guides ; l’armée longeait le fleuve et l’avait à sa gauche : elle fit ainsi à-peu-près quatre stades pour arriver au gué.

Pendant la marche la cavalerie ennemie se portait toujours à la hauteur des Grecs sur la rive opposée. Quand on fut vis-à-vis du gué, on posa les armes à terre, en ordre, sur le bord du fleuve. Puis Chirisophe, le premier, la tête ceinte d’une couronne, quitta ses habits, reprit ses armes, et donna ordre aux troupes d’en faire autant. « dit aux chefs de former l’armée en colonnes par lochos, et de marcher à la même hauteur, les uns à sa droite, les autres à sa gauche. Les sacrificateurs immolèrent des victimes sur le bord du fleuve. Les ennemis se servirent en vain de leurs arcs et de leurs frondes ; les Grecs étaient hors de portée. Quand les entrailles eurent été jugées favorables, toute l’armée chanta le péan et poussa des cris de guerre. Toutes tes femmes y joignirent leurs voix ; car beaucoup de Grecs avaient des maîtresses à leur suite.

Chirisophe entra dans le lit du fleuve, et, sa division le suivit. Xénophon, avec les soldats les plus agiles de l’arrière-garde, couru de toute sa force au pas-