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XÉNOPHON, LIV. IV.

moins grands que ceux de Perse, mais ils avaient plus d’ardeur. Le magistrat arménien apprit aux Grecs à attacher de petits sacs aux pieds de leurs montures et des bêtes de somme lorsqu’ils marcheraient sur la neige ; sans cette précaution, elles y enfonçaient jusqu’aux sangles.

On cantonna sept jours ; le huitième, Xénophon donne le magistrat de son village à Chirisophe pour servir de guide. On laisse à cet Arménien dans sa maison tout ce qui l’habitait. On n’emmène que son fils qui entrait dans l’âge de puberté ; on met cet enfant sous la garde d’Épisthène d’Amphipolis, et l’on promet au père que s’il conduit bien l’armée on lui rendra aussi son fils, et qu’il le ramènera avec lui. On remplit ensuite son château de tout ce qu’on y peut porter, et l’on se met en marche : ce nouveau guide n’était point lié et conduisait l’armée à travers les neiges. On était déjà à la fin de la troisième marche quand Chirisophe se mit en colère contre lui de ce qu’il ne menait point les Grecs à des villages ; il répondit qu’il n’y en avait aucun dans les environs. Chirisophe le battit et ne le fit point enchaîner : la nuit suivante l’Arménien s’esquiva et abandonna son fils. Le châtiment de ce guide et le peu de soin qu’on prit pour s’en assurer, occasionnèrent le seul différent qui s’éleva dans toute la route entre Chirisophe et Xénophon. Épisthène devint amoureux du jeune homme, l’emmena en Grèce, et eut lieu d’être content de ses services et de sa fidélité.

De là, en sept marches de cinq parasanges chacune, on arriva aux bords du Phase, fleuve large d’un plèthre ; puis on fit dix autres parasanges en deux marches ; enfin, sur le sommet d’une montagne qu’on allait passer pour redescendre en plaine, on aperçut les Chalybes, les Taoques et les Phasiens qui attendaient l’armée grecque. Chirisophe, les voyant dans cette position, fit faire halte à la tête, à trente stades d’eux à-peu-près ; car il ne voulait pas s’en approcher en ordre de marche. Il ordonna aux autres chefs de faire avancer les sections, et de les mettre en bataille à mesure qu’elles joindraient, de façon que l’armée fût rangée sur une ligne pleine. Quand l’arrière-garde même se fut formée, il assembla les généraux et les chefs de lochos et leur dit :

« Les ennemis, comme vous le voyez, occupent le sommet de la montagne ; il est temps d’agiter quelles dispositions on doit faire pour combattre avec succès. Je suis d’avis d’envoyer le soldat dîner, et de délibérer nous-mêmes si c’est aujourd’hui ou demain qu’il convient de passer la montagne. Pour moi, dit Cléanor, je pense qu’il faut dîner au plus vite, courir aux armes aussitôt et marcher à l’ennemi ; car il nous voit. Si nous différons au lendemain, nous lui inspirerons plus d’audace, et dès que cette troupe s’enhardira, probablement d’autres Barbares viendront s’y joindre, et leur nombre augmentera à vue d’œil. »

Xénophon dit ensuite :« Voici mon opinion. S’il est nécessaire d’essuyer un combat, il faut se préparer à attaquer vigoureusement ; mais si nous voulons seulement saisir le moyen le plus facile de passer la montagne, il ne faut songer, ce me semble, qu’à faire tuer et blesser le moins de Grecs qu’il sera possible. La partie de ces monts, que nous voyons, s’étend à plus de soixante stades, et il ne paraît de troupes ennemies, qui nous observent, que sur ce chemin ; il vaudrait beaucoup mieux tâcher de dérober à l’ennemi notre marche, et de le prévenir en nous portant dans la partie où il ne veille pas, que d’attaquer un