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XÉNOPHON, LIV. IV.

poste fortifié par la nature, et des hommes préparés à se bien défendre. On gravit plus aisément sur un mont escarpé, quand on n’a point d’ennemis à combattre, qu’on ne marche, quand on en est entouré, dans la plaine la plus unie ; on voit mieux où l’on pose le pied la nuit, quand on n’a rien à craindre, que le jour en se battant, et l’on se fatigue moins à fouler un terrain pierreux, lorsqu’on est sans inquiétude, qu’à marcher sur le duvet lorsqu’on craint sans cesse pour sa tête. Il ne me paraît pas impossible de nous dérober à nos ennemis. Qui nous empêche de partir de nuit, et ils ne pourront nous voir ; de prendre un long détour, et ils auront peine à en être informés ? Je voudrais que, par nos dispositions et par nos manœuvres, nous feignissions de vouloir suivre le chemin qu’ils nous barrent, et en forcer le passage. Ces Barbares y feront rester d’autant plus de troupes, et nous trouverons le reste de la montagne d’autant plus dégarni de défenseurs. Mais il ne me sied pas, Chirisophe, de parler de feintes et de fraudes devant un Lacédémonien ; vous avez tous, tant que vous êtes d’hommes considérables dans cet état, la réputation d’avoir été formés dès votre enfance au larcin. Les filouteries, que la loi de Sparte ne prohibe pas, au lieu d’être déshonorantes, sont pour vous une occupation, et même un devoir dont vous ne pouvez vous dispenser ; pour vous mieux instruire à commettre un vol et à vous en cacher, la peine du fouet est prononcée contre ceux qui sont pris sur le fait. Voici le moment de nous montrer les fruits de l’éducation que vous avez reçue. Prenez garde que pendant que nous chercherons à dérober notre marche à l’ennemi, et à lui voler pour ainsi dire la montagne dont il croit être le maître, il ne nous y attrape et ne nous donne bien les étrivières.

— Les Athéniens, à ce qu’on m’a dit, sont encore des voleurs plus adroits que nous, reprit Chirisophe : leur trésor public en fait foi. Les dangers effrayans que courent ceux qui y sont surpris ne vous rebutent pas ; ce sont les plus puissans de votre république qui s’en mêlent surtout, s’il est vrai que ce soient les citoyens les plus puissans qu’on y élit magistrats. Vous n’avez donc pas moins que moi, mon cher Xénophon, une belle occasion de prouver que vous avez profité de l’éducation et des bons exemples qu’on vous a donnés. — Je suis prêt, répliqua Xénophon, et dès que nous aurons soupé, j’offre d’aller, avec les troupes de mon arrière-garde, m’emparer des hauteurs. J’ai des guides ; car nos troupes légères, en sortant d’une embuscade, ont pris quelques-uns de ces voleurs de camp, qui nous suivent. Je sais, de ceux-ci, que la montagne n’est pas impraticable, qu’on y mène paître des chèvres, des bœufs, et que si une fois nous en occupons une partie, nous pourrons y faire passer nos équipages. J’espère d’ailleurs que quand nous en aurons gagné le sommet, et que les ennemis nous verront de niveau avec eux, ils ne nous y attendront pas long-temps ; car actuellement, ils n’ont pas le courage de descendre et de se former en plaine devant nous. — Pourquoi, dit Chirisophe, faut-il que vous y marchiez et que vous quittiez le commandement de l’arrière-garde ? Envoyez plutôt un détachement, s’il ne se présente pas de volontaires. » Aussitôt Aristonyme de Méthydrie vint s’offrir avec des hoplites, et Aristée de Chio, et Nicomaque d’Éta avec des armés à la lé-