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XÉNOPHON, LIV. IV.

de celui des Scythins ; sur la droite de l’armée était une montagne très escarpée, à sa gauche, un autre fleuve dans lequel se jetait celui qui faisait les limites des deux provinces, et qu’il fallait passer. Sa rive était bordée d’une lisière de bois ; ce n’était pas une haute futaie, mais un taillis fourré. Les Grecs s’étant avancés, commencèrent à le couper ; ils se hâtaient d’autant plus qu’ils voulaient sortir promptement de cette mauvaise position. Les Macrons, armés de boucliers à la perse, de lances, et revêtus de tuniques tissues de crin, s’étaient mis en bataille sur l’autre rive du fleuve ; ils s’exhortaient mutuellement à bien combattre, et jetaient des pierres qui retombaient dans l’eau ; car ils ne purent atteindre les Grecs, ni en blesser aucun.

Alors un des armés à la légère, qui disait avoir été esclave à Athènes, vint trouver Xénophon, et lui dit qu’il savait la langue de ces Barbares. « Je crois, ajouta-t-il, que leur pays est ma patrie, et si rien ne s’y oppose, je voudrais causer avec eux. — Rien ne vous en empêche, reprit Xénophon : parlez-leur ; et sachez d’abord quels ils sont. » On leur fit cette question, et ils dirent qu’on les appelait les Macrons. « Demandez-leur, ajouta Xénophon, pourquoi ils se sont rangés en bataille contre nous, et veulent être nos ennemis. — C’est, répondirent les Macrons, parce que vous venez envahir notre pays. — Répliquez-leur, dirent les généraux, que ce n’est point pour leur causer le moindre dommage que nous y voulons passer, mais qu’ayant fait la guerre à Artaxerxès, nous désirons de retourner en Grèce et d’arriver à la mer. » Les Barbares voulurent savoir si les Grecs confirmeraient ces paroles par des sermens. Ceux-ci demandèrent à recevoir et à donner les signes garans de la paix. Les Macrons donnèrent aux Grecs une de leurs lances, et les Grecs, aux Macrons, une de leurs piques : telle était chez eux, dirent ces peuples, la forme des engagemens. Les deux armées appelèrent ensuite les Dieux à témoin de leurs sermens.

Dès que cette alliance fut conclue, les Macrons coupèrent, avec les Grecs, le taillis ; ouvrirent une route pour les faire passer ; se mêlèrent dans leurs rangs ; leur fournirent tous les vivres qu’ils purent, en les leur faisant payer ; et leur servirent de guides pendant trois jours, jusqu’à ce qu’ils les eussent conduits aux montagnes de la Colchide. Là était un mont élevé, mais accessible, sur la crête duquel les Colques paraissaient en bataille. Les Grecs se formèrent d’abord en ligne pleine, comme pour attaquer dans cet ordre les Barbares et monter ainsi jusqu’à eux. Les généraux s’assemblèrent ensuite et raisonnèrent sur les dispositions qu’il convenait de faire pour charger avec plus de succès ; Xénophon dit qu’il était d’avis de rompre la ligne pour former tous les lochos en colonnes qui marcheraient la même hauteur : « car une ligne pleine se rompra bientôt d’elle-même. Ici la montagne sera praticable, là elle ne le sera pas : le soldat qui aura dû combattre en ligne pleine se découragera dès qu’il y verra du vide. D’ailleurs si nous marchons sur un ordre profond, la ligne des ennemis nous débordera, et ils feront marcher, comme ils voudront, contre nous, ce qui nous dépassera de leurs ailes ; si nous nous mettons au contraire sur peu d’hommes de hauteur, je ne serais pas étonné que la ligne fût enfoncée quelque part, vu la multitude de Barbares et de traits qui tomberont sur nous. Que l’ennemi perce en un point, toute l’armée grecque est battue. Je suis donc d’avis