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XÉNOPHON, LIV. IV.

des villes ; aussitôt que les Grecs en avaient passé une, les Chalybes les suivaient et les attaquaient sans relâche ; puis ils se retiraient dans des lieux fortifiés où ils avaient transporté toutes leurs provisions de bouche, en sorte que l’armée n’en put trouver dans ce pays, et vécut des bestiaux qe’elle avait pris aux Taoques.

Les Grecs arrivèrent ensuite sur les bords du fleuve Harpasus, large de quatre plèthres. De là ayant fait, en quatre marches, vingt parasanges à travers le pays des Scythins, après avoir traversé de grandes plaines, ils se trouvèrent dans des villages où ils séjournèrent trois jours, et firent provision de vivres ; puis, en quatre autres marches de la même longueur, ils arrivèrent à une grande ville, riche et bien peuplée : on la nommait Gymnias. Celui qui commandait dans cette province envoie un guide aux Grecs pour les conduire par un autre pays avec lequel il était en guerre ; ce guide vient les trouver et leur promet de les mener en cinq jours à un lieu d’où ils découvriront la mer : il consent d’être puni de mort s’il les trompe. Il conduit en effet l’armée, et dès qu’il l’a fait entrer sur le territoire ennemi, il l’exhorte à tout brûler et ravager, ce qui fit voir que c’était pour assouvir la haine de ses compatriotes et non par bienveillance pour les Grecs qu’il les accompagnait. On arriva, le cinquième jour, à la montagne sacrée, qui s’appelait le mont Techès. Les premiers qui eurent gravi jusqu’au sommet aperçurent la mer et jetèret de grands cris ; ils furent entendus de Xénophon et de l’arrière-garde. On y crut que de nouveaux ennemis attaquaient la tête de la colonne ; car la queue était harcelée et poursuivie par les peuples dont on avait brûlé le pays. L’arrière-garde leur ayant tendu une embuscade, en tua quelques-uns, en fit d’autres prisonniers, et prit environ vingt boucliers. Ils étaient de la forme de ceux des Perses, recouverts d’un cuir de bœuf cru, et garni de ses poils.

Les cris s’augmentèrent et se rapprochèrent ; car de nouveaux soldats se joignaient sans cesse en courant à ceux qui criaient. Leur nombre augmentant, le bruit redoublait, et Xénophon crut qu’il ne s’agissait pas d’une bagatelle. Il monta à cheval, pris avec lui Lycius et les cavaliers grecs, courut le long du flanc de la colonne pour donner du secours ; il distingua bientôt que les soldats criaient la mer, la mer, et se félicitaient les uns les autres : alors arrière-garde, équipages, cavaliers, tout courut au sommet de la montagne. Quand tous les Grecs y furent arrivés, ils s’embrassèrent ; ils sautèrent au cou de leurs généraux et de leurs chefs de lochos, les larmes aux yeux. Aussitôt, sans qu’on ait jamais su qui leur donna ce conseil, les soldats apportent des pierres, et en élèvent un grand tas ; ils le couvrent de ces boucliers garnis de cuir cru, de bâtons et d’autres boucliers à la perse, pris à l’ennemi. Le guide coupa plusieurs de ces boucliers, et exhorta les Grecs à l’imiter. Ils renvoyèrent ensuite ce barbare, après lui avoir fait des présens. L’armée lui donna un cheval, un vase d’argent, un habillement à la perse, et dix dariques ; il demanda surtout des bagues, et en obtint de beaucoup de soldats ; ensuite il montra un village où l’on pouvait cantonner, et le chemin qu’il fallait suivra à travers le pays des Macrons ; puis il attendit jusqu’au soir, et quand la nuit fut noire, il partit et quitta l’armée.

Les Grecs firent ensuite, en trois marches, dix parasanges à travers le pays des Macrons. Le premier jour on arriva à un fleuve qui séparait ce pays

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