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XÉNOPHON, LIV. VI.

nous laissons périr encore ceux-ci, il ne nous reste à nous-mêmes aucun espoir de salut, vu la multitude des ennemis et l’audace qu’ils auront conçue. Le meilleur parti que nous ayons à prendre est donc de secourir au plus vite nos compagnons pour joindre nos armes aux leurs, s’ils respirent encore, et pour ne pas demeurer seuls exposés aux plus grands dangers. Nous allons maintenant avancer jusqu’à ce que nous jugions qu’il est heure de souper. Nous prendrons alors un camp. Que pendant notre marche Timasion se porte en avant avec la cavalerie, et, sans nous perdre de vue, éclaire ce qui se passe, afin qu’il n’y ait rien dont nous ne soyons instruits. » Xénophon envoya en même temps des hommes agiles tirés des troupes légères sur les flancs de sa division et sur les hauteurs, avec ordre de l’informer de ce qu’ils découvriraient, et il leur enjoignit de mettre le feu à fout ce qui pouvait être incendié. « Pour nous, soldats, ajouta-t-il, nous n’avons plus de retraite à espérer ; Héraclée est trop loin pour y retourner. Chrysopolis se trouve à une grande distance en avant de nous, et nous sommes près de l’ennemi. Le lieu le moins éloigné est le port de Calpé ; nous devons y supposer maintenant Chirisophe, s’il a eu le bonheur d’échapper aux Thraces ; mais il n’y a à Calpé même ni des bâtimens pour nous embarquer, ni des vivres pour subsister, si nous devons y séjourner, ne fût-ce que pendant un jour. Laisser périr les Arcadiens assiégés et, nous joignant aux seules troupes de Chirisophe, courir à de nouveaux dangers, est un parti plus mauvais que de délivrer nos compatriotes, de rassembler en un même lieu tout ce qui restera de Grecs, et de pourvoir alors d’un commun accord à nous tirer d’affaire. Il faut donc marcher, et dans le fond de vos âmes vous préparer à trouver une mort glorieuse ou à vous signaler par l’exploit le plus brillant, si le salut de tant de Grecs doit être votre ouvrage, et tel est peut-être le dessein de la Providence. Elle se plaît à abaisser des superbes qui ont eu trop de confiance en eux-mêmes ; elle veut nous couvrir de plus de gloire qu’eux, nous qui n’entreprenons rien sans commencer par invoquer les immortels. Ayez donc à me suivre, et portez grande attention à ce qui vous sera prescrit pour pouvoir l’exécuter ponctuellement. »

Ayant dit ces mots, il se mit à la tête des troupes. La cavalerie se dispersa autant qu’elle le put faire sans risque, et brûla tout ce qui se trouva sur son chemin. En arrière d’elle les armés à la légère occupèrent successivement les hauteurs que l’armée laissait sur ses flancs ; ils détruisirent, en y portant la flamme, tout ce qu’ils virent et qu’ils purent incendier ; le reste des troupes ensuite en usait de même à son passage lorsqu’il s’y trouvait quelque chose d’épargné. Le pays entier paraissait en feu, et ce spectacle annonçait la marche d’une armée nombreuse. L’heure en étant venue, les Grecs montèrent sur une colline et y campèrent. Ils découvrirent de là les feux de l’ennemi qui n’étaient qu’à environ quarante stades d’eux, et ils en allumèrent eux-mêmes le plus qu’ils purent. Quand l’armée eut soupé, on ordonna d’éteindre au plus vite tous ces feux ; on plaça des gardes avancées, et l’on prit quelque repos pendant la nuit. À la pointe du jour l’armée, après avoir adressé des prières aux Dieux, et s’être rangée en ordre de bataille, marcha en avant le plus rapidement qu’elle put. Timasion et la cavalerie précédaient le gros des troupes ; ils avaient avec eux des