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XÉNOPHON, LIV. VII.

vieillards, les femmes, les enfans descendirent. Mais les hommes dans la fleur de l’âge restèrent dans les villages situés sur la montagne. Seuthès l’ayant su, ordonna à Xénophon de prendre les plus jeunes des hoplites et de le suivre. On se mit en marche pendant la nuit, et à la pointe du jour on se présenta devant les villages ; mais la plupart des Thraces prirent la fuite et échappèrent, car la montagne n’était pas loin. Seuthès perça à coups de javelot tous ceux qu’on put arrêter.

Il y avait à l’armée un certain Épisthène d’Olyntbe, qui aimait avec passion la jeunesse de son sexe. Il vit un enfant d’une figure agréable qui entrait dans l’âge de puberté ; il le vit, dis-je, tenant en main un boulier d’armés à la légère, et rangé parmi les malheureux destinés à mourir. Il courut à Xénophon, et le conjura d’intercéder pour ce joli enfant ; Xénophon s’approcha de Seuthès et le pria de ne pas mettre à mort le jeune Thrace. Il lui dit quel était le goût d’Épisthène, lui raconta que ce Grec levant autrefois un lochos n’avait cherché dans ses soldats d’autre mérite que la beauté, et avait donné à leur tête des preuves de sa valeur. Seuthès s’adressa à Épisthène. « Aimez-vous, lui dit-il, ce jeune Thrace jusqu’à vouloir prendre sa place, et mourir pour le sauver ? » Épisthène présenta son col. « Frappez, dit-il, si cet enfant le désire, et doit m’en savoir gré. » Seuthès demanda au Thrace s’il voulait qu’on portât à Épisthène le coup qui lui était destiné ; le prisonnier n’y consentit pas, et supplia Seuthès de ne les mettre à mort ni l’un ni l’autre. Épisthène embrassa alors cet enfant avec transport. « Venez maintenant, dit-il à Seuthès, combattre contre moi pour ravoir cette victime, car je ne m’en séparerai pas volontairement. » Seuthès se mit à rire et ne songea plus à sa vengeance. Il jugea à propos que l’armée ne s’éloignât pas de ces villages, afin que les Thraces réfugiés sur la montagne ne pussent en tirer leur subsistance. Lui-même descendit un peu dans la plaine et y marqua le camp de ses troupes. Xénophon cantonna avec son détachement de soldats d’élite dans le village le plus élevé de ceux qui sont au pied du mont, et le reste des Grecs à peu de distance, mais sur le territoire des Thraces qu’on nomme les Montagnards.

Au bout de peu de jours les Thraces descendirent de la montagne pour tâcher d’obtenir de Seuthès une capitulation et pour lui offrir des otages. Xénophon vint le trouver aussi ; il lui représenta que les Grecs étaient cantonnés dans une mauvaise position, que l’ennemi était près d’eux et que les soldats aimeraient mieux être au bivouac dans quelque poste fortifié par la nature qu’à l’abri dans un lieu étroit et dominé, où ils pouvaient tous périr. Seuthès lui dit de ne rien craindre, et lui fit voir les otages qu’il avait en son pouvoir. Quelques Thraces de ceux qui étaient sur la montagne vinrent aussi trouver Xénophon, et le prièrent d’obtenir de Seuthès la capitulation qu’ils négociaient. Ce général le leur promit, leur dit de ne point perdre courage, et leur garantit qu’il ne leur serait fait aucun mal s’ils se soumettaient à Seuthès ; mais ils n’étaient venus tenir ces propos à Xénophon que pour reconnaître son cantonnement.

Voilà ce qui se passa pendant le jour. La nuit d’après les Thraces vinrent de la montagne attaquer le village ; le maître de chaque maison servait de guide ; il aurait été difficile à tout autre de reconnaître dans l’obscurité et au milieu d’un village les différentes maisons, car elles étaient palissadées tout autour avec de grands pieux pour empêcher le bétail