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XÉNOPHON, LIV. VII.

l’empire qu’avait possédé Mésade, mais il avait anciennement appartenu à Térès Odryssien. Héraclide s’y trouva avec l’argent provenant de la vente du butin. Seuthès fit amener trois attelages de mulets (c’étaient les seuls qu’il eût) et plusieurs attelages de bœufs. Il appela Xénophon et lui dit de prendre pour lui ceux qu’il voudrait, et de distribuer les autres aux chefs de lochos et aux généraux. Celui-ci répondit : « Je n’ai besoin de rien pour le présent ; vous me récompenserez par la suite ; offrez ces dons aux généraux et aux autres chefs qui vous ont suivi comme moi. » Timasion Dardanien, Cléanor d’Orchomène, et Phrynisque Achéen, eurent chacun un attelage de mulets. On partagea entre les chefs de lochos les attelages de bœufs. Quoiqu’il fût échu un mois de solde, Seuthès n’en fit payer que vingt jours. Héraclide prétendait qu’il n’avait pu tirer plus d’argent des effets vendus. Xénophon, irrité, lui dit : « Vous me paraissez, Héraclide, ne pas prendre comme vous le devriez les intérêts de Seuthès. Si vous les eussiez pris, vous auriez rapporté de quoi payer la solde entière. Il fallait emprunter, si vous ne pouviez faire autrement ; et vendre jusqu’à vos habits. »

Héraclide se fâcha de ce discours, et craignit qu’on ne lui fit perdre l’amitié de Seuthès. De ce jour, il calomnia Xénophon autant qu’il le put près de ce prince. Les soldats reprochaient à ce général qu’une partie de la paie leur restait due, et Seuthès s’offensait de ce que Xénophon exigeait avec fermeté qu’on payât les troupes. Ce Thrace lui répétait sans cesse auparavant que dès qu’on arriverait près de la mer, il le mettrait en possession de Bisanthe, de Ganus et du nouveau château. De ce moment, il ne lui parla plus d’aucune de ces promesses. C’était encore un tort qu’Héraclide avait fait à Xénophon, d’insinuer à Seuthès qu’il était dangereux de confier des places à un homme qui avait une armée à sa disposition.

Cependant Xénophon hésitait, et faisait des réflexions sur le projet de porter la guerre encore plus avant dans la Thrace supérieure. Héraclide conduisit les autres généraux à Seuthès, et voulut les engager à dire qu’ils n’auraient pas moins de crédit que Xénophon pour se faire suivre par l’armée ; il leur promit qu’on paierait sous peu de jours la solde entière de deux mois, et les exhorta à accompagner Seuthès dans son expédition. Timasion lui répondit : « Quand vous m’offririez cinq mois de ma solde, je ne marcherais pas sans Xénophon. » Phrynisque et Cléanor tinrent le même discours.

Seuthès gronda alors Héraclide de n’avoir pas appelé Xénophon. On l’invita ensuite à venir seul, mais comme il connaissait la fourberie d’Héraclide, et sentait que ce Grec voulait le mettre mal avec les autres généraux, il les amena tous avec lui, et se fit suivre aussi par les chefs de lochos. Quand Seuthès eut gagné tous ces chefs, on marcha avec lui. L’armée ayant le Pont-Euxin à sa droite, traversa tout le pays des Thraces appelés Mélinophages, et arriva à la côte de Salmydesse ; là, beaucoup des bâtimens qui entrent dans le Pont-Euxin touchent et s’engravent ; car il y a des bas-fonds dans la plus grande partie de cette mer. Les Thraces qui habitent sur ces parages ont posé des colonnes qui leur servent de bornes, et chacun pille ce qui échoue sur la partie de la côte qui lui appartient. On dit qu’avant qu’ils eussent fixé ces limites, il y en avait grand nombre d’égorgés, parce qu’ils s’entre-tuaient pour s’arracher le butin. On trouve sur cette côte beaucoup de lits, de cassettes, de livres et d’autres meu-