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XÉNOPHON.

de Thrace, du roi d’Illyrie, et de plusieurs autres rois : car on sait qu’il existe encore aujourd’hui en Europe des nations autonomes et indépendantes les unes des autres.

Cyrus voyant l’Asie peuplée de ces nations autonomes, se mit en campagne avec une petite armée de Perses, et, secondé des Mèdes et des Hyrcaniens, il subjugua les Syriens, les Assyriens, les Arabes, les habitans de la Cappadoce, des deux Phrygies, les Lydiens, les Cariens, les Phéniciens, les Babyloniens. Il assujettit la Bactriane, les Indes, la Cilicie, les Saces, les Paphlagoniens, les Mariandyns, et tant d’autres nations qu’il serait trop long de nommer. Il soumit aussi les Grecs asiatiques, puis, descendant vers la mer, il conquit l’île de Chypre et l’Égypte. Ces peuples n’entendaient point sa langue, ne s’entendaient point entre eux ; et néanmoins telle fut la terreur de son nom, dans cette immensité de pays qu’il parcourut, que tout trembla devant lui, nul n’osa conspirer. Il gagna si bien l’affection de ses nouveaux sujets, qu’ils aimaient à vivre sous sa dépendance. Enfin il soumit tant de provinces, qu’il serait difficile de les parcourir toutes, partant de la capitale et marchant vers le levant ou le couchant, vers le septentrion ou le midi. Pénétré d’admiration pour ce grand homme, j’ai recherché son origine, quel a été son caractère, quelle éducation l’a rendu supérieur dans l’art de régner. Je vais donc essayer de raconter ce que j’en ai ouï dire et ce que j’en ai pu découvrir par moi‑même.

Chap. 2. Le père de Cyrus était Cambyse, roi de Perse. Il descendait de la maison des Perséides, qui rapportent leur origine à Persée. Sa mère, appelée Mandane, était fille d’Astyage, roi des Mèdes. Les historiens et les poètes barbares nous disent que la nature, en douant Cyrus d’une figure agréable, lui avait donné une âme sensible et un amour si vif de l’étude et de la gloire, que, pour mériter des éloges, il n’y avait point de travaux qu’il n’entreprît, point de périls qu’il ne sût braver. Voilà ce que l’on s’accorde à nous raconter de sa physionomie et des belles qualités de son âme.

Il fut élevé suivant les usages des Perses, qui, différens de la plupart des autres peuples, s’occupent, avant tout, de l’utilité publique. Ailleurs on laisse un père élever ses enfans à son gré. Arrivés à un certain âge, ils vivent eux‑mêmes comme il leur plaît : on leur défend seulement de dérober, de piller, de forcer les maisons, de maltraiter personne injustement, de séduire la femme d’autrui, de désobéir aux magistrats, et quiconque enfreint la loi dans quelqu’un de ces points, est puni. Mais les lois des Perses préviennent le mal et forment les citoyens de manière qu’ils ne soient jamais capables de bassesse ou de perversité. Voici en quoi elles consistent :

Le palais du roi et les tribunaux sont bâtis dans une grande place qu’on nomme Éleuthère. On relègue ailleurs les marchands avec leurs marchandises, leurs clameurs et leur grossièreté : ils troubleraient le bel ordre qui règne dans les exercices. Cette place est divisée en quatre parties : la première est destinée pour les enfans, la seconde pour les adolescens, la troisième pour les hommes faits, la dernière pour ceux qui ont passé l’âge de porter les armes. La loi veut qu’ils se trouvent tous les jours, chacun dans leur quartier ; les enfans et les hommes faits dès la pointe du jour ; les anciens quand ils le peuvent commodément, excepté à certains jours où ils sont obligés de se présenter. Tous les adolescens passent la nuit autour des tribunaux avec leurs armes : on en ex-