Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/610

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
609
LA CYROPÉDIE, LIV. I.

cepte ceux d’entre eux qui sont mariés. Ils ne s’y rendent que d’après un avertissement ; cependant on n’approuve pas leurs fréquentes absences.

Comme la nation des Perses est composée de douze tribus, chacune de ces quatre classes a douze chefs. Les enfans sont gouvernés par douze vieillards élus parmi ceux qu’on croit les plus propres à les bien élever ; les adolescens, par ceux d’entre les hommes faits qui paraissent les plus capables de les former à la vertu ; les hommes faits, par ceux de leur classe à qui l’on suppose le plus de talent pour exciter les autres à bien remplir leurs devoirs ordinaires, et à suivre les ordres du conseil suprême : les anciens eux‑mêmes, de peur qu’ils ne manquent aux obligations que la loi leur impose, ont des surveillans choisis dans leur classe. Mais afin de rendre plus sensibles les soins qu’ils prennent pour former d’excellens citoyens, je vais exposer en détail ce que les lois exigent de chacune des classes.

Les enfans se rendent aux écoles pour apprendre la justice ; ils vous disent qu’ils vont à ce genre d’étude comme on va chez nous s’instruire dans les lettres. Leurs gouverneurs sont occupés, la plus grande partie du jour, à juger leurs différens : car il s’en élève entre eux comme parmi les hommes faits ; ils s’accusent de larcin, de rapine, de violence, de tromperie, d’injures et de tous autres délits semblables. Une peine est prononcée tant contre les coupables convaincus que contre ceux qui accusent injustement. On connaît surtout d’un crime, source de tant de haines parmi les hommes, et contre lequel il n’est point d’action en justice, l’ingratitude. Si l’on découvre qu’un enfant qui a reçu un bon office n’est point reconnaissant quand il le peut, on le punit rigoureusement, parce qu’on pense que les ingrats négligent les Dieux, leurs parens, leur patrie, leurs amis. L’impudence, compagne inséparable de l’ingratitude, conduit effectivement à tous les vices.

On enseigne la tempérance aux enfans : ils ont un grand encouragement à la pratique de cette vertu, dans l’exemple des anciens, qu’ils voient vivre dans une tempérance continuelle. L’obéissance aux magistrats est encore un des objets de leur éducation : la soumission entière des vieillards aux ordres de leurs chefs contribue beaucoup à y soumettre les enfans. Ils apprennent de même à supporter la faim et la soif, en voyant que les vieillards ne sortent pour leurs repas qu’avec la permission de leurs surveillans, et en prenant leur nourriture non auprès de leur mère, mais chez leur maître, et aux heures que les gouverneurs prescrivent : chacun d’eux apporte du pain pour toute nourriture, du cresson pour tout assaisonnement, une tasse pour puiser de l’eau à la rivière lorsqu’ils ont soif. Ils apprennent encore à tirer de l’arc et à lancer le javelot. Tels sont les exercices des enfans depuis leur naissance jusqu’à seize ou dix‑sept ans ; ils entrent ensuite dans la classe des adolescens : alors voici comment ils vivent.

Durant dix années, on leur fait passer les nuits, comme on vient de le dire, auprès des tribunaux, autant pour la sûreté de la ville que pour s’assurer de leur sagesse ; car cet âge surtout a besoin d’être surveillé. Le jour ils sont aux ordres des magistrats, pour ce qui peut intéresser la république, et, s’il est nécessaire, ils se tiennent tous dans leur quartier. Mais lorsque le roi sort pour la chasse, ce qui arrive plusieurs fois le mois, il prend avec lui la moitié de ces jeunes gens : chacun d’eux doit porter un arc, un carquois plein de flèches, une épée avec le fourreau, ou une hache, un bouclier d’osier et deux javelots, l’un pour lan-

39