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LA CYROPÉDIE, LIV. I.

les crimes capitaux et nomment à tous les emplois. Lorsqu’un adolescent ou un homme fait a violé quelque loi, il est dénoncé par le chef de sa tribu ou par tout autre : les vieillards entendent l’accusation et dégradent l’accusé, flétrissure qui le rend infâme pour le reste de sa vie.

Afin de donner une idée plus claire du gouvernement des Perses, je remonterai un peu plus haut : ce que j’en ai déjà dit me dispense d’un long détail. On compte dans la Perse environ cent vingt mille hommes ; aucun d’eux n’est exclu par la loi, des charges ni des honneurs : tous peuvent envoyer leurs enfans aux écoles publiques de justice ; cependant il n’y a que les citoyens en état de nourrir les leurs, sans travail, qui les y envoient ; les autres les gardent chez eux. Élevé dans ces écoles, on est admissible à la classe des adolescens ; quiconque n’a pas reçu la première éducation en est exclu. Les adolescens qui ont fourni leur carrière complète peuvent prendre place parmi les hommes faits et être promus comme eux aux magistratures, aux dignités ; mais ceux qui n’ont point passé par les deux premières classes n’entrent point dans la troisième : cette classe conduit, quand on y a vécu sans reproche, à celle des anciens ; celle‑ci se trouve ainsi composée de personnages qui ont parcouru tous les degrés de la vertu.

Telle est la forme de gouvernement par laquelle les Perses croient parvenir à se rendre meilleurs. Ils conservent encore aujourd’hui des usages qui attestent et l’austérité de leur régime domestique et leurs continuels efforts pour le maintenir. Par exemple, il est malhonnête parmi eux de se permettre en société de cracher, de se moucher, de laisser échapper quelque signe d’une mauvaise digestion ; il n’est pas moins indécent de s’écarter pour satisfaire des besoins pressans. Or, sans une extrême sobriété, sans la pratique des exercices qui consument les humeurs ou en détournent le cours, leur serait‑il possible d’observer ces bienséances !

Chap. 3. Voilà ce que j’avais à dire des Perses en général : parlons à présent de Cyrus, puisque c’est son histoire que j’entreprends ; racontons ses actions, remontons à son enfance. Cyrus fut élevé, jusqu’à l’âge de douze ans et un peu plus, suivant ces coutumes. Il l’emportait sur tous ceux de son âge, soit par sa facilité à saisir ce qu’on enseignait, soit par le courage et l’adresse à exécuter ce qu’il entreprenait. Lorsqu’il fut parvenu à l’âge que je viens de dire, Astyage invita Mandane à se rendre auprès de lui avec son fils, qu’il désirait voir sur ce qu’il avait ouï dire de sa beauté et de ses excellentes qualités. Mandane partit pour la cour de Médie, accompagnée de Cyrus. Dès l’abord, à peine reconnaît‑il qu’Astyage est père de Mandane, ce jeune prince, naturellement caressant, l’embrasse avec cet air familier d’un ancien camarade ou d’un ancien ami. Voyant ensuite qu’Astyage avait les yeux peints, le visage fardé et une chevelure artificielle (c’est la mode en Médie, ainsi que de porter des robes et des manteaux de pourpre, des colliers et des bracelets, au lieu que les Perses, encore aujourd’hui, quand ils ne sortent point de chez eux, sont aussi simples dans leurs habits que sobres dans leurs repas) ; voyant, dis‑je, la parure du prince, et le regardant avec attention : « Oh ! ma mère, que mon aïeul est beau ! — Lequel, reprit la reine, trouves‑tu le plus beau de Cambyse ou d’Astyage ? — Mon père est le plus beau des Perses et mon aïeul le plus beau des Mèdes que j’ai vus sur la route et à la cour. » Astyage, l’embrassant à son tour, le fit revêtir d’une robe magnifique et parer de colliers et de bracelets ; depuis ce

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