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XÉNOPHON.

moment, il ne sortait plus sans être accompagné de son petit‑fils monté comme lui sur un cheval dont le mors était d’or. Cyrus enfant et ami de l’éclat, flatté d’ailleurs des distinctions, prenait grand plaisir à la belle robe. Sa joie était extrême d’apprendre à monter à cheval : car il est rare de voir des chevaux en Perse, à cause de la difficulté de les élever et de s’en servir dans un pays de montagnes.

Astyage soupait un jour avec sa fille et Cyrus qu’il voulait disposer par la bonne chère à moins regretter la Perse. Sa table était couverte de sauces, de ragoûts et de mets de toute espèce : « Ô mon papa, s’écria Cyrus, que tu as de peine si tu es obligé de porter la main à chacun de ces plats et de goûter de tous ces mets ! — Eh quoi ! ce souper ne te semble‑t‑il pas meilleur que ceux de la Perse ? — Non, nous avons en Perse une voie plus simple et plus courte pour apaiser la faim : il ne nous faut que du pain et de la viande sans apprêt ; au lieu que vous, qui tendez au même but, vous vous égarez çà et là, et vous n’arrivez qu’avec peine, même long-temps après nous. — Mais, mon fils, nous ne sommes pas fâchés de nous égarer ainsi : tu connaîtras ce plaisir quand tu auras goûté de nos mets. — Cependant, répliqua Cyrus, je vois que tu en es toi‑même dégoûté. — À quoi le vois‑tu ? — C’est que j’ai remarqué que quand tu as touché à ces ragoûts, tu essuies promptement tes mains avec une serviette, comme si tu étais fâché de les voir pleines de sauce, ce que tu ne fais pas quand tu n’as pris que du pain. — Eh bien ! mon fils, use, si tu l’aimes mieux, de viandes sans apprêt, afin de retourner vigoureux dans ton pays. »

En même temps il fit servir devant lui un grand nombre de plats, tant de venaison, que d’autres viandes. Alors Cyrus lui dit : « Toutes ces viandes, mon papa, me les donnes‑tu ? puis‑je en faire ce que je voudrai ? — Oui, mon fils, oui, je te les donne. » Sur cette réponse, Cyrus prit les mets, qu’il distribua aux officiers de son grand‑père, en disant à l’un : « Je vous fais ce présent, parce que vous me montrez avec affection à monter à cheval ; à un autre, parce que vous m’avez donné un javelot, et je l’ai encore ; à un troisième, parce que vous servez fidèlement mon grand‑père ; à un quatrième, parce que vous révérez ma mère, et ainsi de suite, jusqu’à ce qu’il eût tout donné. — Et à mon échanson Sacas, que je considère beaucoup, pourquoi ne lui donnes‑tu rien ? » (Sacas était un très bel homme, chargé d’introduire chez Astyage les personnes qui avaient à lui parler, et de renvoyer celles qu’il ne croyait pas à propos de laisser entrer.) Au lieu de répondre, Cyrus, comme un enfant qui ne craint pas d’être indiscret, interroge brusquement son aïeul : « Pourquoi donc as‑tu tant de considération pour Sacas ? — Ne vois‑tu pas, répliqua le roi, en plaisantant, avec quelle dextérité, avec quelle grâce il sert à boire ? » En effet les échansons des rois mèdes servent adroitement, ils versent le vin avec une extrême propreté, tiennent la coupe de trois doigts seulement, et la présentent à celui qui doit boire, de manière qu’il la prenne sans peine. « Eh bien, dit Cyrus, commande, je te prie, à Sacas de me donner la coupe : en te servant aussi bien que lui, je mériterai de te plaire ». Astyage y consent : Cyrus s’empare de la coupe, la rince avec grâce, comme il l’avait vu faire à l’échanson ; puis composant son visage, prenant un air sérieux et un maintien grave, il la présente au roi, qui en rit beaucoup, ainsi que Mandane. Cyrus lui‑même, riant aux éclats, se jette au cou de son grand‑père, et dit en l’embrassant : « Sacas, te voilà