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LA CYROPÉDIE, LIV. I.

Perses, et vers leur roi Cambyse son beau‑frère, avec ordre exprès de voir Cyrus et de le prier, si les Perses donnaient des troupes aux Mèdes, d’en solliciter le commandement.

Cyrus, après avoir passé dix ans dans la classe des adolescens, était entré dans celle des hommes faits. Il fut élu par les sénateurs, général des troupes qui devaient aller en Médie ; emploi qu’il accepta. On lui permit de s’associer deux cents homotimes, dont chacun eut la liberté de s’adjoindre quatre autres citoyens du même rang ; ce qui forma le nombre de mille. Il fut permis de plus à chacun des mille homotimes, de choisir dans la classe inférieure, dix peltastes, dix frondeurs et dix archers, ce qui faisait en tout dix mille archers, dix mille peltastes et dix mille frondeurs, non compris les mille homotimes.

Telle était l’armée confiée à Cyrus. Dès qu’il eut été nommé, son premier sentiment fut pour les Dieux. Il sacrifia sous d’heureux auspices, et prit ensuite ses deux cents homotimes, qui choisirent à leur tour quatre de leurs pareils. Puis les ayant assemblés tous, il leur tint ce discours :

« Mes amis, ce n’est pas d’aujourd’hui que je vous connais. Je vous ai choisis, parce que je vous ai vus, depuis votre enfance, aussi constans à observer ce qui est regardé chez nous comme honnête, que fidèles à vous abstenir de ce qui ne l’est pas. Vous allez apprendre par quels motifs j’ai accepté le commandement, et pourquoi je vous assemble ici. Je sais que nos ancêtres nous valaient bien, qu’aucune vertu ne leur était étrangère ; mais je ne puis voir quel bien en a résulté, soit pour eux, soit pour la république. Il me semble néanmoins qu’on ne pratique la vertu que pour jouir d’un meilleur sort que ceux qui la négligent. Celui qui se prive d’un plaisir présent, ne le fait pas dans le dessein de n’en goûter jamais aucun ; c’est au contraire afin de se préparer, par cette privation même, des jouissances plus vives pour un autre temps. Celui qui ambitionne de briller dans la carrière de l’éloquence, n’a pas pour but de haranguer sans cesse ; il espère qu’en acquérant le don de la persuasion, il sera un jour utile à la société. Il en est de même de celui qui se dévoue au métier des armes : ce n’est pas pour combattre sans relâche, qu’il se livre à de pénibles exercices ; il se flatte que, devenu habile guerrier, il partagera avec sa patrie la gloire, les honneurs et la prospérité qui couronneront ses talens militaires. Si parmi ces hommes il s’en trouvait qui, après de longs travaux, eussent été prévenus par la vieillesse, sans avoir su tirer aucun profit de leurs peines, je les comparerais à un laboureur qui, jaloux de sa profession, semerait et planterait avec le plus grand soin, et qui ensuite, au lieu de récolter ses grains, de cueillir ses fruits dans la saison, les laisserait tomber à terre ; ou bien à un athlète, qui après s’être laborieusement exercé, et s’être mis en état de mériter le prix, finirait par ne pas entrer dans la lice : car il me semble qu’on pourrait aussi, sans injustice, taxer un tel homme de folie.

Amis, qu’un tel malheur ne nous arrive point : et puisque la conscience nous dit que nous avons, dès l’enfance, contracté l’habitude du courage et de la vertu, marchons à l’ennemi, que je sais, pour l’avoir vu de près, être incapable de tenir contre nous. On n’est point bon soldat, pour savoir tirer de l’arc, lancer le javelot, ou manier un cheval si dans les grandes occasions on se laisse vaincre par la fati-