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XÉNOPHON.

gues et les veilles : or les Assyriens, peuple mou, ne peuvent ni soutenir les travaux, ni résister au sommeil. On n’est pas bon soldat, si, habile d’ailleurs, on n’a pas appris comment on doit se conduire avec les alliés et avec les ennemis : or il est clair qu’ils ignorent cette science importante. Vous, au contraire, vous savez user de la nuit comme les autres usent du jour ; pour vous, le travail est la route du plaisir ; la faim vous sert d’assaisonnement ; vous buvez l’eau avec plus de volupté que les lions même : enfin vous avez pénétré vos âmes de cette noble passion qui fait les guerriers, puisque vous aimez la louange avant tout. Or les hommes sensibles à la louange, vont au‑devant de ce qui la procure, et supportent pour elle avec joie les fatigues et les dangers. Au reste, si je vous parlais ainsi contre ma pensée, ce serait me tromper moi‑même, puisque si vous me démentiez, le blâme de l’événement retomberait sur moi. Mais non, mes espérances ne seront point trompées : j’en ai pour garans ma propre expérience, votre attachement pour moi, et la démence de nos ennemis. Marchons avec confiance ; nous ne craignons point le titre d’usurpateurs. Une nation ennemie donne, par ses hostilités, le signal de la guerre ; une nation amie réclame notre secours. Est‑il rien de plus juste que de repousser la violence, rien de plus beau que de servir ses amis ? Vous avez encore un puissant motif de confiance ; c’est que dans cette expédition, je n’ai point négligé les Dieux : vous savez, vous avec qui j’ai vécu si long-temps, que dans les petites comme dans les grandes entreprises, je commence toujours par les implorer. Mais à quoi bon vous en dire davantage ? Choisissez les hommes que l’état vous accorde ; faites vos préparatifs, et marchez vers la Médie. Je vous suivrai de près ; il faut qu’auparavant je voie mon père : instruit de l’état des ennemis, je ferai tout pour assurer, avec l’aide des Dieux, le succès de nos armes. » Tous s’empressèrent d’exécuter ses ordres.

Chap. 6. Cyrus, de retour auprès de son père, implora Vesta, Jupiter et les autres divinités domestiques ; puis il partit. Cambyse l’accompagna jusqu’à la frontière. Ils étaient à peine sortis du palais, que les éclairs brillèrent ; on entendit quelques coups de tonnerre d’un augure favorable. À ces signes manifestes de la protection du grand Jupiter, ils continuèrent leur route, sans attendre d’autres présages.

« Mon fils, dit Cambyse à Cyrus en marchant, il est évident par les sacrifices et par les signes célestes, que les Dieux nous sont propices. Je pense que tu en es toi‑même convaincu ; car je me suis appliqué à te donner cette intelligence. Je voulais que tu connusses sans interprète leurs volontés ; que pour voir et pour entendre, tu n’eusses recours ni aux yeux, ni aux oreilles des devins, qui, s’ils le voulaient, te tromperaient par une fausse explication des prodiges ; que, faute de devins, tu ne fusses pas embarrassé à expliquer les signes ; enfin, que possédant l’art divinatoire, tu susses exécuter ce que les Dieux te prescriraient.

» — Mon père, répondit Cyrus, je ferai de continuels efforts pour mériter, comme tu dis, que les dieux ne nous envoient que des avertissemens salutaires. Je me souviens de t’avoir ouï dire un jour, qu’un moyen efficace de s’assurer leur protection, c’était de ne pas attendre la détresse pour recourir à eux, mais de les honorer surtout dans les temps de prospérité. Tu ajoutais qu’on