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LA CYROPÉDIE, LIV. II.

objet d’émulation. Il proposa donc tous les exercices qu’il savait être bons à des guerriers. Il recommandait au simple soldat d’être soumis à ses chefs, laborieux, hardi sans témérité, adroit, curieux de belles armes, et sur tous ces points avide d’éloges ; au cinquainier de se montrer ce que doit être un brave soldat, et de faire que sa cinquaine lui ressemblât. Il demandait les mêmes soins au dizainier pour sa dizaine, au lochage pour son escouade ; ainsi du taxiarque et des autres chefs : irréprochables dans leur conduite, ils surveilleraient les sous-officiers, afin que ceux-ci maintinssent leurs inférieurs dans le devoir.

Voici quelles récompenses il annonçait : le taxiarque qui disciplinerait le mieux sa compagnie, deviendrait chiliarque ; le lochage dont les soldats seraient le mieux exercés, deviendrait taxiarque ; le dizainier le plus distingué obtiendrait le grade de lochage ; le cinquainier, celui, de dizainier ; le simple soldat celui de cinquainier. De là résultaient la soumission des subordonnés envers leurs chefs, et en outre, des distinctions qu’il accordait à chacun, selon son mérite. Il donnait aux plus braves de plus hautes espérances, si dans la suite ils remportaient un grand avantage. Il établit pareillement des prix d’émulation pour les compagnies entières, pour les escouades, pour les dizaines, pour les cinquaines, qui montreraient plus de déférence à leurs chefs et plus d’attachement à la discipline ; ces prix étaient ceux qui convenaient à une multitude. Tels étaient les moyens employés par Cyrus : les troupes répondaient à ses vues.

Il régla le nombre des tentes sur cela des taxiarques, chacune de grandeur suffisante pour contenir une compagnie entière ; or une compagnie était de cent hommes : ainsi les troupes logeaient par compagnie. Cet arrangement, suivant lui, devait disposer ses soldats au combat, puisqu’ils voyaient que la nourriture était la même pour tous : ceux qui se comporteraient avec moins de bravoure, ne pourraient alléguer pour prétexte, qu’on les traitait moins bien que les autres. Ils gagneraient à se connaître réciproquement, car naturellement les hommes sont plus retenus en présence de ceux qui les connaissent : quand on n’est pas connu, l’on se permet aisément de faire le mal, comme lorsqu’on est dans l’obscurité. Ils contracteraient d’ailleurs l’utile habitude de garder leur rang ; car le taxiarque, le lochage, le dizainier, le cinquainier faisaient, chacun dans leur tente, observer le même ordre que dans la marche : cet ordre dans les compagnies lui semblait nécessaire, soit pour prévenir la confusion, soit pour se rallier plus facilement dans un moment de trouble. C’est ainsi qu’on assemble sans peine des pierres ou des pièces de bois destinées pour un bâtiment, quoique dispersées çà et là, lorsqu’elles portent des marques qui indiquent la place où chacune doit être mise. Comme d’ailleurs il avait remarqué que les animaux nourris ensemble s’attristent dès qu’on les sépare, il pensait que des hommes vivant en commun, ne se quitteraient pas volontiers.

Il avait soin qu’ils ne prissent leur repas, le dîner et le souper, qu’après s’être fatigués jusqu’à suer : ou il les faisait chasser à outrance, puis il imaginait quelques jeux violens, ou il les employait pour lui-même, et, dirigeait les travaux de sorte qu’ils ne revinssent que trempés de sueur. Il croyait qu’ils en mangeraient avec plus d’appétit, qu’ils en seraient plus robustes et plus en état de supporter la fatigue. Il pensait encore que, travaillant ensemble, ils en seraient d’un commerce plus doux ; de