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XÉNOPHON.

même qu’on voit les chevaux se tenir tranquilles avec leurs compagnons de travail. Enfin, des soldats qui se disent à eux-mêmes qu’ils sont bien exercés, marchent à l’ennemi avec plus de confiance.

Cyrus s’était fait arranger une tente assez vaste pour contenir ceux qu’il jugeait à propos d’admettre à sa table : or il y invitait le plus ordinairement les taxiarques, tantôt l’un, tantôt l’autre, suivant les circonstances ; quelquefois les lochages, les dizainiers, les cinquainiers, les simples soldats ; quelquefois une cinquaine, une dizaine, une compagnie entière. Il accordait cette marque de bienveillance à ceux qui tenaient la conduite qu’il eût voulu que tinssent tous les autres. À sa table, chacun était servi comme lui. Il avait les mêmes égards pour les gens destinés au service du soldat : ces gens-là, disait-il, qui suivent nos armées, méritent-ils moins de considération que des hérauts, que des ambassadeurs ? il faut qu’ils soient fidèles, instruits des détails militaires, intelligens, prompts, laborieux, actifs, intrépides ; de plus, qu’à toutes le qualités qui forment un brave homme, ils joignent cette bonne volonté qui fait qu’on ne dédaigne aucune commission, qu’on est toujours prêt à exécuter l’ordre du général.

Chap. 2. Cyrus avait soin, lorsqu’il réunissait des officiers danse sa tente, que la conversation fût à-la-fois agréable et instructive. Un jour, il leur proposa cette question : « Pensez-vous, mes amis, que ce soit un désavantage pour les autres hommes de n’avoir pas reçu la même éducation que nous, ou qu’il n’y ait aucune différence entre eux et nous, soit pour la société soit pour la guerre ? Je ne sais pas encore, répondit Hystape, comment ils se montreront dans le combat ; mais je puis assurer que dans la société plusieurs paraissent d’un commerce difficile. Dernièrement Cyaxare ayant envoyé pour chaque compagnie des viandes de sacrifices, on en distribua à chacun de nous trois portions et plus. Le cuisinier m’en avait servi à moi le premier : lorsqu’il s’apprêtait à commencer le second tour, je lui ordonnai de commencer par la queue et de servir en sens contraire. À l’instant, un soldat du milieu du cercle s’écria, en jurant, qu’il n’y avait point d’égalité dans la distribution, si on ne commençait jamais par le centre. Fâché d’apprendre qu’il parût y avoir de l’inégalité, je l’invitai à se placer près de moi : il m’obéit d’un air fort grave ; et quand notre tour fut arrivé, nous trouvant les derniers, il ne restait que de petites portions. Le soldat paraissait fort triste : « Fortune ennemie, se disait-il à lui-même, faut-il qu’on m’ait fait venir à cette place ! — Sois tranquille, lui dis-je, on va recommencer par nous, tu auras la plus grosse part. » La dessus le cuisinier apporte, son troisième et dernier service ; le soldat prend sa part après moi : mais à peine celui qui le suivait avait pris la sienne, que mon homme trouvant le morceau de son voisin plus fort que le sien, le rejeta pour en choisir un autre. Le cuisinier qui pensait qu’il n’en voulait plus continua son service, sans lui laisser le temps de prendre un autre morceau : ce qui le courrouça au point qu’après avoir laissé emporter le morceau dont il était le maître, il renversa encore, moitié surprise, moitié colère, la sauce qui lui restait sans viande. Un lochage assis près de nous battait des mains, riant et se divertissant de cette scène. Pour moi, je feignais de tousser ; j’avais peine à me contenir. Voilà, Cyrus, l’humeur d’un de nos camarades. »

Après ce récit qui amusa, comme cela