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XÉNOPHON.

désirais les voir. Je te dirai, seigneur, que j’aurais donné beaucoup plus que tu n’as exigé de moi, pour obtenir qu’ils fussent chassés de ces montagnes. Par ce seul bienfait, tu viens d’acquitter les promesses que tu nous fis en recevant notre argent ; nous t’avons même de nouvelles obligations, que nous ne pouvons oublier sans rougir, si nous ne sommes pas les plus lâches des hommes : au reste, quoi que nous fassions, notre reconnaissance ne nous acquittera jamais envers un tel bienfaiteur. » Ainsi parla le roi d’Arménie.

Bientôt les Chaldéens vinrent supplier Cyrus de leur accorder la paix. « Quelle raison avez-vous de la désirer ? n’est-ce pas l’espérance d’y trouver, à présent que nous sommes maîtres des montagnes, plus de sûreté que dans la guerre ? — Oui, répondirent les Chaldéens. — Et si la paix, continua Cyrus, vous procurait encore d’autres avantages ? — Nous la trouverions encore plus agréable. — Ne vous regardez-vous pas comme pauvres uniquement à cause de la stérilité de votre sol ? — Oui, seigneur. — Eh bien, voudriez-vous qu’il vous fût permis de cultiver dans l’Arménie autant de terrain qu’il vous plairait, à la charge de payer au roi les mêmes redevances que ses sujets ? — Oui, mais avec la certitude qu’on ne nous fera point d’injustice. — Et toi, roi d’Arménie, voudrais-tu qu’ils cultivassent chez toi les terres incultes, en payant les impôts ordinaires ? — Je donnerais beaucoup pour favoriser ce projet ; mes revenus en recevraient un grand accroissement. — Vous, Chaldéens, vous avez des montagnes remplies de pâturages ; consentiriez-vous que les Arméniens y menassent leurs troupeaux, pourvu que ceux à qui ils appartiennent vous payassent un droit raisonnable ? — Très volontiers ; c’est nous offrir du profit sans peine. — Roi d’Arménie, désirerais-tu jouir de ces pâturages, si en accordant aux Chaldéens une légère indemnité, tu en retirais un grand avantage ? — Assurément, si j’espérais en jouir avec sûreté. — Ne jouirais-tu pas d’une entière sûreté, ayant une garnison sur la montagne ? — Oui. — Mais, reprirent les Chaldéens, que les Arméniens soient maîtres des hauteurs, loin de pouvoir cultiver sûrement les champs qu’ils nous céderont, nous ne pourrons pas même cultiver les nôtres. — Si la garnison vous protégeait ? — Alors nos affaires iraient bien. — Les nôtres iraient mal, reprit le roi, si on leur rendait leurs montagnes, surtout munies d’une forteresse. — Voici donc, ajouta Cyrus, ce que je ferai : je ne confierai la garde des hauteurs ni aux Arméniens ni aux Chaldéens ; je m’en charge : et si l’un des deux peuples nuit a l’autre, je défendrai l’offensé. » On applaudit à la proposition ; l’on convint que c’était le seul moyen de rendre la paix durable : puis les deux peuples se jurèrent foi mutuelle, aux conditions qu’ils seraient indépendans l’un de l’autre, qu’ils s’allieraient par des mariages, qu’ils jouiraient en commun des terres labourables et des pâturages, enfin, que si l’un était attaqué, l’autre fournirait des troupes. Ainsi fut conclu ce traité, qui dure encore aujourd’hui, entre les Chaldéens et le roi d’Arménie. Aussitôt, les deux peuples travaillèrent de concert à la construction de la forteresse, gage de leur félicité commune, et y transportèrent les matériaux.

Le soir même, Cyrus ne voyant en eux que des amis, les invita tous à souper dans sa tente. Pendant le repas, un Chaldéen se mit à dire qu’à la vérité cette alliance serait agréable à la majorité de la nation ; mais qu’il y avait des Chaldéens que l’habitude du pillage et du métier des armes rendait inhabiles